Argus panoptès (Πανόπτης/panóptês, "celui qui voit tout") était un géant aux cent yeux, répartis sur toute la tête ou le corps selon certains auteurs. Cinquante yeux* dormaient pendant que cinquante autres veillaient en permanence, exercant ainsi une surveillance de tous les instants et dont il était impossible de tromper la vigilance.**
* Et non pas deux yeux, comme l'indique éronnément la version d'Ovide dans ses Métamorphoses.
** Argus Filch, Squib de son état et caractère de la très fameuse Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry. Filch est essentiellement occupé à parcourir les corridors de l'école d'Harry Potter, afin de repérer les étudiants faillant aux règles de l´école. Vigilance oblige... voilà ce qui s'appelle ne dormir que d'un oeil.
Zeus tombe sous le charme d'Io (fille d'Inachos, dieu-fleuve et de Mélia, prêtresse d'Héra). Il la poursuit, la dissimule sous un épais nuage et la viole (cf. Ovide, Métamorphoses [583]). Hera, qui pressent une nouvelle infidélité de son époux, descend de l’Olympe, dissipe le nuage et découvre, aux côtés de Zeus, une génisse blanche [610].
Rubens, Merkur et Argus (1635). Mercure étant Hermès dans la cosmogonie latine.
Devinant l'artifice, Héra obtient de son mari qu'il lui offre la génisse, et la fait garder par Argus. Io, affligée, va trouver son père. Celui-ci ne reconnaît sa fille dans la génisse blanche que lorsque celle-ci trace avec son sabot les deux lettres de son nom sur le sol [625]. Lorsqu'il comprend, il se lamente d'avoir perdu sa fille [651]. Zeus décide alors de délivrer Io, et demande à son fils Hermès de trouver un moyen de tuer le géant [668]. Déguisé en paysan, Hermès va trouver Argus et réussit à raconter une histoire suffisamment ennuyeuse pour endormir le gardien. Au moment où les yeux d'Argus se ferment, Hermès lui coupe la tête. Héra, désespérée de cette mort, prend les yeux d'Argus pour les répartir sur le plumage de son animal favori, le paon.***
Ovide, Métamorphoses
Io (I, 568-600)
Il est dans l'Hémonie une vallée profonde qu'entourent d'épaisses forêts; on l'appelle Tempé. C'est là que le Pénée, tombant du haut du Pinde, roule avec fracas ses flots écumeux; forme dans sa chute rapide un humide brouillard qui arrose la cime des bois environnants, et du bruit de son torrent fatigue au loin les échos. C'est là qu'est la demeure de ce fleuve puissant; c'est là que des rochers de son antre il commande à ses ondes et aux nymphes qui les habitent. Tous les fleuves voisins de cette contrée se rendent auprès de Pénée, incertains s'ils doivent le féliciter, ou le consoler de la perte de sa fille. On y voit le Sperchius, au front ceint de peupliers, l'Énipée, dont les eaux ne sont jamais tranquilles; le vieil Apidane, le paisible Amphryse, et l'Éas, et tous les autres fleuves qui, terminant enfin leur course impétueuse et vagabonde, vont reposer dans l’océan leurs flots fatigués d'un long cours.
[583] Le seul Inachus ne vint point. Caché dans sa grotte profonde, il grossissait ses flots de ses larmes. Il pleure Io, sa fille, qu'il a perdue, ignorant si elle jouit encore de la vie, ou si elle est descendue chez les morts; et comme il ne l'a trouvée nulle part, il ne peut croire qu'elle existe encore : il craint même pour elle de plus grands malheurs.
Le maître des dieux l'avait vue lorsqu'elle revenait des bords du fleuve de son père : "Ô nymphe ! avait-il dit, nymphe digne de Jupiter, quel est l'heureux mortel destiné à posséder tant de charmes ? Viens sous les ombres épaisses de ces bois (et il les lui montrait), viens, tandis que le soleil, élevé au plus haut des cieux, embrase les airs. Ne crains pas de pénétrer seule dans ces forets, retraite des bêtes farouches; un dieu t'y servira de guide et de protecteur; et ce ne sera pas un dieu vulgaire, mais celui-là même qui de sa main puissante tient le sceptre des cieux et qui lance la foudre. Arrête et ne fuis pas". Elle fuyait en effet. Elle avait déjà dépassé les pâturages de Lerne, et les champs et les arbres du Lyncée, lorsque le dieu, couvrant au loin la terre de ténèbres, arrêta la fuite de la nymphe, et triompha de sa pudeur.
Argus (I, 501-688)
Cependant Junon, abaissant ses regards sur la terre, s'étonne de voir que d'épais nuages aient changé soudain, en une nuit profonde, le jour le plus brillant. Elle reconnaît bientôt que ces brouillards ne s'élevaient point du fleuve ni du sein de la terre humide. Elle cherche de tous côtés son époux qu'elle a si souvent vu et surpris infidèle, et ne le trouvant point dans le ciel : "Ou je me trompe, dit-elle, ou je suis encore outragée"; et s’élançant du haut de l'Olympe sur la terre, elle commande aux nuages de s'éloigner.
[610] Mais Jupiter avait prévu l'arrivée de son épouse, et déjà il avait transformé en génisse argentée la fille d'Inachus. Elle est belle encore sous cette forme nouvelle : Junon, en dépit d'elle-même, admire sa beauté; mais, comme si elle eût tout ignoré, elle demande d'où elle est venue, à quel troupeau elle appartient, et quel en est le maître. Jupiter, pour mettre fin à ces questions, feint, et répond que la terre vient de l'enfanter. La fille de Saturne le prie de la lui donner. Que fera-t-il ? sera-t-il assez cruel pour livrer son amante à sa rivale ? Un refus cependant le rendra suspect. Ce que la honte lui conseille, l'amour le lui défend, et l'amour sans doute eût triomphé : mais Jupiter peut-il refuser un don si léger à sa sœur, à la compagne de son lit, sans qu'elle ne soupçonne que ce n'est pas une génisse qu'on lui refuse ? Junon, l'ayant obtenue, ne fut pas même entièrement rassurée; elle craignit Jupiter et ses artifices, jusqu'à ce qu'elle eût confié cette génisse aux soins vigilants d'Argus, fils d'Arestor.
[625] Ce monstre avait cent yeux, dont deux seulement se fermaient et sommeillaient, tandis que les autres restaient ouverts et comme en sentinelle. En quelque lieu qu'il se plaçât, il voyait toujours Io, et, quoique assis derrière elle, elle était devant ses yeux. Il la laisse paître pendant le jour; mais lorsque le soleil est descendu sous la terre, il l'enferme et passe à son col d'indignes liens. Infortunée ! elle n'a pour aliments que les feuilles des arbres et l'herbe amère; pour boisson, que l'eau bourbeuse; pour lit, que la terre souvent toute nue. Elle veut tendre à son gardien des bras suppliants, elle ne les trouve plus; elle veut se plaindre, il ne sort de sa bouche que des mugissements dont elle est épouvantée. Elle se présente aux bords de l'Inachus, jadis témoin de ses jeux innocents; à peine a-t-elle vu, dans les eaux du fleuve, sa tête et ses cornes nouvelles, elle est effrayée et se fuit elle-même. Les Naïades ignorent qui elle est; son père même, Inachus, ne peut la reconnaître. Cependant elle suit son père, elle suit ses sœurs; elle s’offre à leurs regards étonnés de sa beauté; elle se laisse caresser de la main. Le vieil Inachus arrache des herbes et les lui présente; elle lèche, elle baise les mains de son père; elle verse des larmes. Ah ! si elle avait encore l'usage de la voix, elle implorerait son secours; elle dirait et son nom et ses malheurs. Mais, au défaut de la voix, des lettres que son pied trace sur le sable apprennent au vieillard le destin déplorable de sa fille.
[651] "Malheureux que je suis ! s'écrie-t-il suspendant ses bras au cou de la génisse gémissante, père infortuné ! Est-ce donc toi que j'ai cherchée par toute la terre ? Hélas ! En ce jour je te revois et ne te retrouve pas. Ah ! j'étais moins à plaindre quand j'ignorais ton sort. Tu te tais; tu ne réponds pas à mes plaintes. Seulement de profonds soupirs s'échappent de ton sein. Tu voudrais parler, et tu ne peux que mugir. Incertain de ta destinée, j'avais préparé pour toi les flambeaux de l'hymen ; j'attendais de toi un gendre et des neveux : maintenant c'est dans un troupeau que tu dois trouver un mari et placer tes enfants. Malheureux d'être dieu ! La mort ne peut terminer mon déplorable destin : la porte du trépas m'est fermée, et ma douleur doit être éternelle comme moi."
Le monstre aux cent yeux, interrompant ces plaintes, arrache Io des bras de son père, la conduit dans d'autres pâturages, s'assied sur le sommet d'une colline, et promène autour d'elle des regards vigilants.
[668] Cependant, le maître des dieux ne peut supporter plus longtemps les malheurs de la sœur de Phoronée. Il appelle son fils Mercure, né de la plus belle des Pléiades; il lui commande de livrer Argus à la mort. Aussitôt, Mercure attache ses ailes à ses talons, couvre sa tête de son casque, arme sa main puissante du caducée qui fait naître le sommeil, et du palais de Jupiter, il descend rapidement sur la terre. Il dépose, à l'écart, et son casque et ses ailes; il ne retient que le caducée, dont il se sert, comme un berger de sa houlette, pour rassembler un troupeau de chèvres qu'il a dérobées dans les champs, et qu'il conduit en jouant du chalumeau.
[678] Séduit par l'harmonie de cet instrument nouveau, "Qui que tu sois, dit le gardien préposé par Junon, tu peux t'asseoir, avec, moi, sur cette roche : tu chercherais vainement un meilleur pâturage pour tes chèvres, et cet ombrage frais, tu le vois, invite le pasteur."
Le petit-fils d'Atlas s'assied, et d'abord, par de longs discours, il semble arrêter le jour qui s'écoule; ensuite, par les accords lents de la flûte, il veut endormir Argus. Cependant le monstre combat le doux sommeil, et quoiqu'une partie de ses yeux en soit vaincue, l'autre veillant encore, il demande quel art a fait naître la flûte nouvellement inventée.
* Et non pas deux yeux, comme l'indique éronnément la version d'Ovide dans ses Métamorphoses.
** Argus Filch, Squib de son état et caractère de la très fameuse Hogwarts School of Witchcraft and Wizardry. Filch est essentiellement occupé à parcourir les corridors de l'école d'Harry Potter, afin de repérer les étudiants faillant aux règles de l´école. Vigilance oblige... voilà ce qui s'appelle ne dormir que d'un oeil.
Zeus tombe sous le charme d'Io (fille d'Inachos, dieu-fleuve et de Mélia, prêtresse d'Héra). Il la poursuit, la dissimule sous un épais nuage et la viole (cf. Ovide, Métamorphoses [583]). Hera, qui pressent une nouvelle infidélité de son époux, descend de l’Olympe, dissipe le nuage et découvre, aux côtés de Zeus, une génisse blanche [610].
Rubens, Merkur et Argus (1635). Mercure étant Hermès dans la cosmogonie latine.
Devinant l'artifice, Héra obtient de son mari qu'il lui offre la génisse, et la fait garder par Argus. Io, affligée, va trouver son père. Celui-ci ne reconnaît sa fille dans la génisse blanche que lorsque celle-ci trace avec son sabot les deux lettres de son nom sur le sol [625]. Lorsqu'il comprend, il se lamente d'avoir perdu sa fille [651]. Zeus décide alors de délivrer Io, et demande à son fils Hermès de trouver un moyen de tuer le géant [668]. Déguisé en paysan, Hermès va trouver Argus et réussit à raconter une histoire suffisamment ennuyeuse pour endormir le gardien. Au moment où les yeux d'Argus se ferment, Hermès lui coupe la tête. Héra, désespérée de cette mort, prend les yeux d'Argus pour les répartir sur le plumage de son animal favori, le paon.***
*** Pour Io, l'histoire ne se termine pas là : Héra envoie contre Io un taon qui l'empêchera de s'arrêter suffisamment longtemps pour que Zeus ne pût s'emparer d'elle à nouveau. L 'insecte, s'attachant à ses flancs, rend la génisse si furieuse qu'elle se met à errer pendant des mois à travers toute la Grèce, longeant le golfe Ionien, passant le Bosphore (ou "passage de la Vache"), pour rencontrer finalement sur le mont Caucase, Prométhée, qui selon Eschyle, lui prédit un magnifique destin. De là, Io gagne l'Égypte, où, délivrée par Héra et relachée par Zeus, elle reprend forme humaine, enfante Epaphos et accède au statut de déesse que l'on identifie alors à la déesse égyptienne Isis. Après sa mort, elle est transformée en constellation.
Ovide, Métamorphoses
Io (I, 568-600)
Il est dans l'Hémonie une vallée profonde qu'entourent d'épaisses forêts; on l'appelle Tempé. C'est là que le Pénée, tombant du haut du Pinde, roule avec fracas ses flots écumeux; forme dans sa chute rapide un humide brouillard qui arrose la cime des bois environnants, et du bruit de son torrent fatigue au loin les échos. C'est là qu'est la demeure de ce fleuve puissant; c'est là que des rochers de son antre il commande à ses ondes et aux nymphes qui les habitent. Tous les fleuves voisins de cette contrée se rendent auprès de Pénée, incertains s'ils doivent le féliciter, ou le consoler de la perte de sa fille. On y voit le Sperchius, au front ceint de peupliers, l'Énipée, dont les eaux ne sont jamais tranquilles; le vieil Apidane, le paisible Amphryse, et l'Éas, et tous les autres fleuves qui, terminant enfin leur course impétueuse et vagabonde, vont reposer dans l’océan leurs flots fatigués d'un long cours.
[583] Le seul Inachus ne vint point. Caché dans sa grotte profonde, il grossissait ses flots de ses larmes. Il pleure Io, sa fille, qu'il a perdue, ignorant si elle jouit encore de la vie, ou si elle est descendue chez les morts; et comme il ne l'a trouvée nulle part, il ne peut croire qu'elle existe encore : il craint même pour elle de plus grands malheurs.
Le maître des dieux l'avait vue lorsqu'elle revenait des bords du fleuve de son père : "Ô nymphe ! avait-il dit, nymphe digne de Jupiter, quel est l'heureux mortel destiné à posséder tant de charmes ? Viens sous les ombres épaisses de ces bois (et il les lui montrait), viens, tandis que le soleil, élevé au plus haut des cieux, embrase les airs. Ne crains pas de pénétrer seule dans ces forets, retraite des bêtes farouches; un dieu t'y servira de guide et de protecteur; et ce ne sera pas un dieu vulgaire, mais celui-là même qui de sa main puissante tient le sceptre des cieux et qui lance la foudre. Arrête et ne fuis pas". Elle fuyait en effet. Elle avait déjà dépassé les pâturages de Lerne, et les champs et les arbres du Lyncée, lorsque le dieu, couvrant au loin la terre de ténèbres, arrêta la fuite de la nymphe, et triompha de sa pudeur.
Argus (I, 501-688)
Cependant Junon, abaissant ses regards sur la terre, s'étonne de voir que d'épais nuages aient changé soudain, en une nuit profonde, le jour le plus brillant. Elle reconnaît bientôt que ces brouillards ne s'élevaient point du fleuve ni du sein de la terre humide. Elle cherche de tous côtés son époux qu'elle a si souvent vu et surpris infidèle, et ne le trouvant point dans le ciel : "Ou je me trompe, dit-elle, ou je suis encore outragée"; et s’élançant du haut de l'Olympe sur la terre, elle commande aux nuages de s'éloigner.
[610] Mais Jupiter avait prévu l'arrivée de son épouse, et déjà il avait transformé en génisse argentée la fille d'Inachus. Elle est belle encore sous cette forme nouvelle : Junon, en dépit d'elle-même, admire sa beauté; mais, comme si elle eût tout ignoré, elle demande d'où elle est venue, à quel troupeau elle appartient, et quel en est le maître. Jupiter, pour mettre fin à ces questions, feint, et répond que la terre vient de l'enfanter. La fille de Saturne le prie de la lui donner. Que fera-t-il ? sera-t-il assez cruel pour livrer son amante à sa rivale ? Un refus cependant le rendra suspect. Ce que la honte lui conseille, l'amour le lui défend, et l'amour sans doute eût triomphé : mais Jupiter peut-il refuser un don si léger à sa sœur, à la compagne de son lit, sans qu'elle ne soupçonne que ce n'est pas une génisse qu'on lui refuse ? Junon, l'ayant obtenue, ne fut pas même entièrement rassurée; elle craignit Jupiter et ses artifices, jusqu'à ce qu'elle eût confié cette génisse aux soins vigilants d'Argus, fils d'Arestor.
[625] Ce monstre avait cent yeux, dont deux seulement se fermaient et sommeillaient, tandis que les autres restaient ouverts et comme en sentinelle. En quelque lieu qu'il se plaçât, il voyait toujours Io, et, quoique assis derrière elle, elle était devant ses yeux. Il la laisse paître pendant le jour; mais lorsque le soleil est descendu sous la terre, il l'enferme et passe à son col d'indignes liens. Infortunée ! elle n'a pour aliments que les feuilles des arbres et l'herbe amère; pour boisson, que l'eau bourbeuse; pour lit, que la terre souvent toute nue. Elle veut tendre à son gardien des bras suppliants, elle ne les trouve plus; elle veut se plaindre, il ne sort de sa bouche que des mugissements dont elle est épouvantée. Elle se présente aux bords de l'Inachus, jadis témoin de ses jeux innocents; à peine a-t-elle vu, dans les eaux du fleuve, sa tête et ses cornes nouvelles, elle est effrayée et se fuit elle-même. Les Naïades ignorent qui elle est; son père même, Inachus, ne peut la reconnaître. Cependant elle suit son père, elle suit ses sœurs; elle s’offre à leurs regards étonnés de sa beauté; elle se laisse caresser de la main. Le vieil Inachus arrache des herbes et les lui présente; elle lèche, elle baise les mains de son père; elle verse des larmes. Ah ! si elle avait encore l'usage de la voix, elle implorerait son secours; elle dirait et son nom et ses malheurs. Mais, au défaut de la voix, des lettres que son pied trace sur le sable apprennent au vieillard le destin déplorable de sa fille.
[651] "Malheureux que je suis ! s'écrie-t-il suspendant ses bras au cou de la génisse gémissante, père infortuné ! Est-ce donc toi que j'ai cherchée par toute la terre ? Hélas ! En ce jour je te revois et ne te retrouve pas. Ah ! j'étais moins à plaindre quand j'ignorais ton sort. Tu te tais; tu ne réponds pas à mes plaintes. Seulement de profonds soupirs s'échappent de ton sein. Tu voudrais parler, et tu ne peux que mugir. Incertain de ta destinée, j'avais préparé pour toi les flambeaux de l'hymen ; j'attendais de toi un gendre et des neveux : maintenant c'est dans un troupeau que tu dois trouver un mari et placer tes enfants. Malheureux d'être dieu ! La mort ne peut terminer mon déplorable destin : la porte du trépas m'est fermée, et ma douleur doit être éternelle comme moi."
Le monstre aux cent yeux, interrompant ces plaintes, arrache Io des bras de son père, la conduit dans d'autres pâturages, s'assied sur le sommet d'une colline, et promène autour d'elle des regards vigilants.
[668] Cependant, le maître des dieux ne peut supporter plus longtemps les malheurs de la sœur de Phoronée. Il appelle son fils Mercure, né de la plus belle des Pléiades; il lui commande de livrer Argus à la mort. Aussitôt, Mercure attache ses ailes à ses talons, couvre sa tête de son casque, arme sa main puissante du caducée qui fait naître le sommeil, et du palais de Jupiter, il descend rapidement sur la terre. Il dépose, à l'écart, et son casque et ses ailes; il ne retient que le caducée, dont il se sert, comme un berger de sa houlette, pour rassembler un troupeau de chèvres qu'il a dérobées dans les champs, et qu'il conduit en jouant du chalumeau.
[678] Séduit par l'harmonie de cet instrument nouveau, "Qui que tu sois, dit le gardien préposé par Junon, tu peux t'asseoir, avec, moi, sur cette roche : tu chercherais vainement un meilleur pâturage pour tes chèvres, et cet ombrage frais, tu le vois, invite le pasteur."
Le petit-fils d'Atlas s'assied, et d'abord, par de longs discours, il semble arrêter le jour qui s'écoule; ensuite, par les accords lents de la flûte, il veut endormir Argus. Cependant le monstre combat le doux sommeil, et quoiqu'une partie de ses yeux en soit vaincue, l'autre veillant encore, il demande quel art a fait naître la flûte nouvellement inventée.
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