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5 juil. 2024

Vivre libre ou mourir (Arnaud Le Gouëfflec & Nicolas Moog)

Les conseils d'amis sont souvent bons, celui-là était excellent. Après Underground (2021), Arnaud Le Gouëfflec et Nicolas Moog nous proposent une plongée dans l'histoire du punk rock alternatif français des années 80. Lire Vivre libre ou mourir, c'est partir pour un voyage dans le temps musical et social puissant, et approcher l'utopie du punk rock alternatif français des années 80, reflet d'une société en mutation, racontée à travers les destins croisés de musiciens de l'époque. L'histoire de ces groupes français - Bérurier Noir, Mano Negra, Négresses vertes, les Garçons Bouchers, est un récit choral qui met en scène des personnages clefs de la scène : Loran et François des Bérurier Noir, Didier Wampas de The Wampas, François Hadji-Lazaro (Les Garçons bouchers, Pigalle), Helno des Négresses vertes sont suivis à travers leurs aventures de l'époque, superposant le temps de l'action et celui du recul et des leçons tirées. Destins révélateurs des espérances, des illusions ou désillusions, des réussites et des échecs du mouvement.
Mais cette histoire se distingue des aventures purement musicales parce que cette scène fut aussi le précis témoin de son époque, de ses turbulences politiques et sociétales. Née avec l'élection de François Mitterand et achevée la même année que la chute du mur de Berlin, elle épouse l'histoire de la décennie, de l'arrivée de la gauche au pouvoir au tournant de la rigueur, de la cohabitation et des années Pasqua à la création des Restos du cœur, de la marche des Beurs de 1983 au score du Front National aux Européennes de 84, des attentats d'Action Directe à la mort de Malik Oussekine. Chaque événement impacte l'histoire du rock alternatif et conditionne son odyssée. Dans ce contexte, l'explosion de la popularité du groupe Bérurier Noir, l'un des puissants ressorts du mouvement, est de première importance : ses disques se vendent par dizaines de milliers, se passent sous le manteau dans les lycées et dans les collèges - c'est un véritable phénomène sociologique, emblématique des tensions et des aspirations de la jeunesse de l'époque. Groupe politisé et politisant son public, les Bérurier Noir, minés par les contradictions internes, à la pression médiatique et policière, emplissent trois soirs successifs l'Olympia en guise d'adieu : le majeur levé, la foule scande et chante "La jeunesse emmerde le Front national". Que chante aujourdéhui la jeunesse et la France ? Les législatives de juillet 2024 donne un tout autre ton. La dissolution des Bérus marque un échec, en tout cas la fin d'un rêve, au moment où la Mano Negra signe son deuxième album, marquant symboliquement le coup d'arrêt d'une certaine innocence, d'une certaine utopie, d'une certaine époque et d'une certaine jeunesse.

21 mai 2023

Marseille, Château de La Buzine

L'affreux château, celui de la peur, de la peur de ma mère est un édifice du XIXe siècle situé dans le 11e arrondissement de Marseille. Il doit sa célébrité à Marcel Pagnol, qui l'évoque dans ses Souvenirs d'enfance et en fut propriétaire.
21 juillet 1941, Marcel Pagnol qui traversait, enfant, ces propriétés pour se rendre à la villégiature familiale de la Treille, achète le domaine pour en faire une cité du cinéma avec plateaux de tournage, logements pour les équipes et ateliers. Aujourd'hui, la Château de La Buzine abrite la Maison des Cinématographies de la Méditerranée, comprenant une salle de cinéma réalisée à l'ancienne avec balcon et orchestre, une salle d'expositions dans l'ancien salon de musique et une bibliothèque spécialisée. Le château est bordé par un parc de cinq hectares, où il fait bon balader, comme on dit en Provence.

15 mars 2023

Bonjour !... du langage comme forme de communication

« Bonjour », dit-il et il me vient maintenant l’idée que le mot « jour », tel qu’il l’utilise, désigne spécifiquement les heures comprises entre huit heures du matin et huit heures du soir. Je n’y avais encore jamais songé sous cette forme. Il veut que les heures entre huit heures du matin et huit heures du soir soient bonnes, c’est-à-dire plaisantes, agréables, bénéfiques. Nous nous souhaitons tous les uns aux autres douze heures de plaisir et de réussite. Mais c’est formidable, ça ! C’est drôlement gentil, ma parole ! Bonjour ! Et il en est de même pour « bonsoir » et « bonne nuit ». Mon Dieu ! Le langage est une forme de communication ! La conversation n’est pas q’un simple échange de feux croisés où l’on canarde et où l’on se fait canarder. Où il faut plonger à plat ventre pour sauver sa peau et ne penser qu’à tuer ! Les mots ne sont pas seulement des bombes et des balles, - non, ce sont de petits cadeaux, chargés de signifcation !
Philip Roth, Portnoy et son complexe, page 303.

13 mars 2023

Des courants affectifs

Dans l’essai sur la « Dégradation », je trouve l’expression « courants affectifs ». Pour atteindre « un comportement pleinement normal en amour » (ce « pleinement normal » mériterait un examen sémantique serré, mais enfin continuons…), un comportement pleinement normal en amour donc, dit-il, il est nécessaire que deux courants affectifs se rejoignent : le tendresse et l’affection d’une part, et le sensualité d’autre part. Et ceci, c’est triste à dire, dans bien des cas ne se produit pas. De tels hommes, lorsqu’ils aiment, n’éprouvent pas de désir et, lorsqu’ils désirent, ils sont incapables d’aimer. 
Philip Roth, Portnoy et son complexe, page 255.

28 févr. 2023

Des rapports entre perception du monde et allure

Peut-être la perception du monde ne dépend-elle pas des lieux, mais de l'allure. Si l'on va lentement, où que l'on soit dans les zones tempérées de la planète, les nuits seront peuplées de grillons, de bêlements, de fumée de bois, d'herbes aromatiques, d'étoiles. L'hiver, on s'endormira dans un halo de lumière froide et lunaire, une odeur de laine feutrée et de fumier, de thé bouillant et de rêves chauds, ceux où les gens ont une odeur et une saveur. En un mot, on connaîtra la vie.
Paolo Rumiz, La légende des montagnes qui naviguent (Des mont Alburni au massif du Pollino), page 513.

24 févr. 2023

De la femme

Pourtant son propriétaire m'avait averti : « Attention, Rumiz, elle [la Topolino] est comme une femme. Si tu l'as, tu la maudis, si tu la perds, elle te manque, si tu t'en fous, tu perds ton âme. »
Paolo Rumiz, La légende des montagnes qui naviguent (De Montefeltro aux monts Sibyllins), page 409.

16 févr. 2023

De la saison hivernale

Je sais que c'est ridicule, le magasin est juste au-dessous de chez moi. Mais quand arrive l'automne, j'ai besoin d'accumuler. Des salaisons, du vin, du bois. La peur que l'hiver apporte la misère habite au fond de moi. J'ai passé de trop nombreux moments à me battre : la guerre, le camp de prisonniers, la faim noire, les amis emportés par le gel. Si je fais des provisions, je suis mieux à même d'affronter la saison du repos, de la lecture, du recueillement. Il y a des années, la neige m'a tenu isolé pendant des journées entières. Je suis resté sans lumière et sans téléphone. C'était magnifique. J'étais heureux, tranquille, je n'avais même pas la télé. Les flocons tombaient sans bruit. J'avais du bois, de la farine blanche, du lard, du fromage et une histoire à écrire.
Paolo Rumiz, La légende des montagnes qui naviguent (Du Piave à l’Adige), page 108.

23 oct. 2022

Du grand calme intérieur

C'était un ancien soldat,qui avait fait du service et s'était élevé jusqu'au rang de commandant, et il gardait un peu des manières brusques et catégoriques du camp. Dès que sa démission avait été acceptée, il était venu à Notre-Dame-des-Neiges comme pensionnaire et, après une brève expérience du lieu, avait décidé de rester en tant que novice. Cette vie nouvelle commançait déjà à modifier son apparence. Il avait déjà en partie acquis l'air tranquille et souriants des frères ; il n'était plus officier et pas encore trappiste, mais il y avait en lui un peu des deux. C'était assurément une situation bien intéressante. Sorti du bruit des canons et des trompettes, il était en train de gagner ce pays paisible qui borde la tombe, où les hommes dorment la nuit vêtus de leur linceul et où, tels des fantômes, ils communiquent par signe.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 70.

22 oct. 2022

De la belle étoile (1)

Sous un toit, la nuit est une période morte, monotone, mais en plein air, elle passe légèrement, avec ses étoiles, ses rosées et ses parfums, et les heures sont marquées par les changements dans le visage de la nature. Ce qui paraît être unem mort momentanée pour ceux qu'étouffent murs et rideaux, n'est qu'un léger sommeil vivant pour qui dort à la belle étoile. Toute la nuit durant, il entend la nature respirer librement et profondément. Même quand elle est au repos, elle se retourne et sourit, et il est une heure exaltante inconnue de ceux qui vivent sous un toit, lorsqu'une influence ennemie du sommeil se répand sur l'hémisphère endormi, et que toutes les créatures sont debout. C'est alors que le coq chante pour la premoière fois, non pour annoncer l'aurore, mais comme un joyeux veilleur qui presse le cours de la nuit. Les troupeaux s'éveillent dans les prés, les moutons rompent leur jeûne sur les coteaux humides de rosée, et gagnent un nouveau pâturage parmi les fougères, et les hommes vagabonds, qui se sont couchés avec les oiseaux, ouvrent leurs yeux ensommeillés et contemplent la beauté de la nuit.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 83.

13 oct. 2022

Sylvain Tesson, Blanc [2022]: dédicace pour un autre cheminement

Du 13 juin au 28 août 2019, j'effectuais une transalpine de Venise à Menton, de l'Adriatique à la Méditerrannée, par l'arc alpin, couvrant en 72 jours 1600 km, traversant 5 pays alpins, franchissant 132 cols, avalant 120 000 m de dénivelé cumulé pour sillonner une géographie aussi physique qu'esthétique ; traverser mille et un paysages ; apercevoir des visages sculptés par les vallées et les sommets ; apprécier la lumière, le caillou, la difficulté, le moment, le pas, l'équilibre, l'air, le rayon de soleil sur le lac ; fouler les chemins, frôler les herbes, passer les frontières à pied ; marcher dans une splendeur chaque jour renouvelée.
De son parcours, Sylvain Tesson dit :
Avec mon ami le guide de haute montagne Daniel du Lac, je suis parti de Menton au bord de la Méditerranée pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. De 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, nous nous élevions dans la neige. Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule — espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté ?

11 oct. 2022

Du sac de couchage

J'avais décidé, sinon de camper en plein air, du moins d'en avoir les moyens à ma disposition car rien n’est plus éprouvant pour un esprit détendu que la nécessité d'atteindre un gîte au crépuscule, et ceux qui cheminent à pied ne peuvent pas toujours compter avec certitude sur l'hospitalité d'une auberge de village. Une tente, surtout pour un voyageur solitaire, est ennuyeuse à planter, puis ennuyeuse à démonter ; et même dans la journée, repliée, elle ne passe pas inaperçue. Un sac de couchage, en revanche, est toujours prêt – on n'a qu’à entrer dedans. Il remplit un double emploi, lit la nuit et valise le jour, et il ne signale pas à tous les badauds curieux votre intention de dormir à la belle étoile. C’est un avantage immense. Si votre campement n'est pas secret, on y vient troubler votre repos, vous devenez une personnalité. Le paysan amical, qui a soupé de bonne heure, vient vous voir dans votre lit. Il faut dormir d'un œil, et se lever avant le jour. J'optai pour un sac de couchage, et après plusieurs voyages au Puy, et maintes réjouissances pour moi et mes conseillers, un sac de couchage fut conçu, réalisé et apporté en triomphe chez moi.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 16.

31 mai 2022

Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque

"Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. A te regarder, ils s'habitueront."
René Char, Rougeur des matinaux.

2 sept. 2014

Marseille, porte du sud (2) [sur la qualité d'étranger et le sentiment d'appartenance à une nation]

On va par petits groupes, mais par groupe de race et de nationalité. A l'étranger, tout le monde devient nationaliste. Question de parler, question de sentir, question de rêver. Au contact, l'internationalisme perd sa force d'idée. Politiquement, ce peuple de travailleur est internationaliste. Sentimentalement, il penche encore vers les siens. Chinois avec Chinois, Sénégalais avec Sénégalais, Hollandais avec Hollandais, ils vont entre soi. Ils se coudoient, mais ne se mélangent pas. Ils restent comme ils se sentent le mieux. Ce n'est qu'une observation. Elle vient de loin. Dans tous les ports du monde où j'ai rôdé, j'ai vu la chose. Loin de son pays, le pays surgit.
Albert Londres, Marseille, porte du sud, pages 168/169.

1 sept. 2014

Marseille, porte du sud (1)

Vous verrez des femmes qui, lorsqu'elles marchent, font le bruit d'une vitrine de joaillier qui s'écroule, tellement elles sont, ces créatures, couvertes d'or, d'argent, d'ambre, d'ivoire et de verroteries. Vous en verrez aux cheveux coupés franchement en brosse, d'autres à qui il faut deux jours et l'aide de toute une famille pour préparer une coiffure qu'on ne touche plus pendant un mois. Vous verrez celles qui se tiennent sur des pieds brisés, celles qui s'avancent comme un oiseau sautille, et des esclaves marcher comme des princesses.
Albert Londres, Marseille, porte du sud, pages 5/6.

31 août 2014

Marseille, porte du sud (3): le Planier

Il est un phare à deux milles de la côte. Tous les soirs, on le voit qui balaye de sa lumière et le large et la rive. Ce phare est illustre dans le monde ; il s'appelle le Planier. Quelle que soit l'heure où vous le regardiez, dites-vous qu'à cet instant on parle de lui sur toutes les mers et sous toutes les constellations. Quand on n'en parle pas, on y pense. Mais si le Planier ramène au pays, il préside aussi au départ.
Faites le voyage de Marseille, jeunes gens de France ; vous irez voir le phare. Il vous montrera un grand chemin que, sans doute, vous ne soupçonnez pas, et peut-être alors comprendrez-vous ?
Albert Londres, Marseille, porte du sud, pages 183/184.

25 juin 2014

Claudio Magris, Danube (14)

La littérature aime les bas-fonds et les immondices, qu'elle ne représente pas comme une misère dont il faudrait se libérer, mais bien plutôt comme un recoin ou s'est refugiée une magie perdue. Les voyages vers le bas, depuis ceux de Jules Verne jusqu'à ceux, plus modestes, de Sussi et Biribissi dans les égouts, sont plus fabuleux que les autres, parce qu'ils font pénétrer au plus caché, au plus inaccessible du magma, dans le mythique feu central, témoin de ces temps où la terre était une boule incandescente, ces temps d'aberrations de l'existence que nous n'aurons plus jamais l'occasion de voir.
Claudio Magris, Danube, page 525.

Claudio Magris, Danube (13)

L'anticapitalisme romantique idéalise indûment le monde rural archaïque, la communauté avec son souffle chaud d'étable, et oublie ce qui qui s'y mêlait presque toujours de misère noire et de sombre violence. La société urbaine, si souvent et si tendencieusement accusée d'aliénation, a libéré l'indivdu, ou tout au moins mis en place les prémisses de sa libération.
Claudio Magris, Danube, page 522.

19 juin 2014

Claudio Magris, Danube (12)

Il est plus tentant de prendre parti pour la vie que pour la loi, pour la créativité mobile et spontanée que pour la symétrie d'un code. Mais il y a plus de poésie dans les terces de Dante que dans un flou sans forme. La créativité en matière de morale, c'est la capacité de chercher et d'instaurer librement une loi ; seule la force de mettre de l'ordre dans le flux des contradictions de la vie rend justice à ces contradictions, que l'on fausse et que l'on grossit quand on voit en elles, dans leur indétermination fluctuante, la vérité suprême de l'être, et qu'on les prend, malgré la mise en garde de Marc Aurèle, pour l'activité même de l'esprit. […] La conscience et la rigueur de la loi n'étouffe nullement la passion, mais lui communiquent au contraire force et réalité.
Claudio Magris, Danube, pages 329/330.

18 juin 2014

Claudio Magris, Danube (11)

C'est depuis ce jour que j'ai compris que la force, l'intelligence, la stupidité, la beauté, la lâcheté, la faiblesse sont des situations et des rôles qui, tôt ou tard, incombent à tous. Celui qui fait tort à autrui en invoquant la fatalité de la vie ou de son caractère se retrouve une heure ou une année plus tard victime au nom des mêmes raisons indicibles.
Claudio Magris, Danube, page 319.

Claudio Magris, Danube (10)

Il voulait nous enseigner le mépris du sirop sentimental, de cette fausse bonté qui l'espace d'un instant, en toute bonne foi, offre ou promet dans un élan monts et merveilles, avec la conviction d'une impulsion généreuse, quitte à se rétracter, avec de nombreux motifs sérieux et valables quand on la met au pied du mur.
Claudio Magris, Danube, page 317.