Il est du reste à remarquer que la constance d'une habitude est d'ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes, on ne le fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où la maniaque se prive lui-même de tous les plaisirs et s'inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins. Tous les dix ans, si on en avait eu la curiosité, on retrouverait le malheureux dormant aux heures où il pourrait vivre, sortant aux heures où il n'a guère rien d'autre à faire qu'à se laisser assassiner dans les rues, buvant glacé quand il a chaud, toujours en train de soigner un rhume. Il suffirait d'un petit mouvement d'énergie, un seul jour, pour changer cela une fois pour toutes. Mais justement ces vies sont l'apanage d'êtres incapables d'énergie. Les vices sont un autre aspect de ces existences monotones que la volonté suffirait à rendre moins atroces.
Proust, La Prisonnière, page 37.
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