26 juil. 2014

Alpinisme dans les Écrins (3/5): Du Pré de Mme Carle au Refuge des Écrins via le Glacier Blanc

17/07/2014, Pré de Mme Carle (1870m) : point de départ de somptueuses courses et randonnées dans les Écrins. Au programme de ces trois jours : monter d'une traite (1300m +) au refuge des Écrins (3170m) et de là, après une petite course d'acclimatisation (Roche Faurio ?), faire le Dôme des Écrins (4015m).
Du Pré de Mme Carle jusqu'au refuge du Glacier Blanc (2542m), c'est une randonnée alpine qui permet de côtoyer le Glacier Blanc et d'approcher - sans les voir encore - quelques sommets mythiques conquis par les alpinistes de la fin du XIXème siècle. La randonnée commence dans un paysage typiquement alpin : on progresse sur plusieurs centaines de mètres de dénivellé positif dans un cirque qui longe un torrent glaciaire. Les paysages sont structurés par l'étagement de la végétation : le mélèze qui façonne la partie basse du cirque laisse bientôt la place, au-dessus de la limite des forêts (2000/2500 m d'altitude), au genévrier nain et lichens, derniers postes avancés du monde végétal. Ils colorent les éboulis et les roches, en donnant à chaque site sa teinte originale, son ampleur, son caractère. La végétation disparaît ensuite totalement et de la profonde vallée, on entre alors dans un puissant massif cristallin. C'est un monde exclusivement minéral, épuré, abstrait qui s'offre au regard.
Cliquer sur les photos pour agrandir.


Mme Carle ? L'histoire...
Le Pré de Mme Carle était autrefois un pré constitué d'herbages et administré par Madame Louise Carle. Une vraie prairie bordée de mélèzes, de cèdres, de saules, d’aulnes verts et de bouleaux nains. À l’époque romaine, on y cultivait la vigne, et les glaciers Blanc et Noir n’existaient plus. Au petit âge glaciaire (1303-1860), les deux glaciers, taraudant le fond de la vallée, atteignent à nouveau l'emplacement de l'actuel refuge Cézane et laissent place à une immense zone défrichée, cirque glaciaire grandiose qui donne accès à un univers de pierre sculpté par la glace et l'eau.
La légende...
A cette époque, Geoffroy Carle, alors président du Parlement de Grenoble, très investi dans la vie du village des Vigneaux, habite avec sa jeune et jolie épouse au hameau de la Bâtie. Sûr de la vertu de sa femme et de la sienne, il décide un jour de faire réaliser à ses frais, sur l'église St-Laurent-aux-Vigneaux, une fresque qu'il voulait magnifique. Il choisit pour thème les vices et leurs châtiments. Prémonitoire ? Voyons la suite. L'inconscient engage un jeune et séduisant peintre italien, et pour être sûr de bien prendre tous les risques, il confie à sa femme le soin de surveiller les travaux. Louise s'acquitte de la tâche, usant de ses charmes très persuasifs - disait-on dans la région - auprès du bel italien. L'amourette est de courte durée, car au cours d'une soirée à Rama, ancien nom de La Roche-de-Rame où Geoffroy Carle ne peut accompagner sa femme, Louise de la Bâtie oublie son pauvre peintre et se laisse séduire par le seigneur des lieux. Naïve, elle se rend à l'église pour surveiller les travaux aux bras de sa nouvelle conquête. Blessé, jaloux et furieux - vous connaissez les Italiens, le peintre jure vengeance. C'est sur la fresque presque achevée où il ne restait plus qu'à peindre les visages des vices, que l'artiste éconduit frappe : l'orgueil hérite de la tête du seigneur de Rame, Geoffroy Carle sert de modèle à la colère et Louise Carle figure la luxure. De retour de Grenoble et admirant la fresque achevée, Geoffroy Carle reconnaît sans mal les portraits et comprend les sourires narquois qu'il surprend sur son passage. Fou de rage - vous connaissez les Français, il décide lui aussi de se venger. Il paye et remercie discrètement l'artiste, et dans le plus grand secret, met au point un plan machiavélique. Durant plusieurs jours, il prive d'eau et de nourriture la mule de sa femme. Un matin, les habitants des vigneaux voient partir Geoffroy et Louise, lui sur son cheval, elle sur la mule exsangue, pour visiter leurs prés au fond de la vallée. Arrivés sur les lieux, la mule assoiffée, attirée par la fraîcheur du torrent, se précipite avec fougue dans les eaux tumultueuses, entraînant définitivement Mme Carle loin du regard des curieux. De retour au village, quelques larmes pour la forme, une messe à l'église des Vigneaux et un geste éloquent à l'annonce de son désir de baptiser sa prairie d'altitude le Pré de Mme Carle en l'honneur de cette épouse si tendre, si dévouée, trop tôt disparue dans des conditions dramatiques.

Au loin, les passerelles du torrent de la Momie et du Glacier noir.




Au confluent du glacier Blanc et du glacier Noir, le torrent Saint-Pierre.








Le glacier des violettes

Quelques rencontres en chemin :







Lac Tuckett
Au fond, l'ancien refuge Tuckett construit en 1886, témoin de l'époque pionnière de l'alpinisme en Vallouise dans la seconde moitié du XIXème siècle. C'est devenu au fil du temps une petite construction en dur. Francis Fox Tuckett : 269 sommets et 687 cols, Edward Whymper le décrivait comme "ce puissant alpiniste, dont le nom est connu dans toute la longueur et la largeur des Alpes" et Geoffrey Winthrop Young qualifiait son approche de l'alpinisme "d'encyclopédique". Il fut le premier à explorer les Écrins en France, les Dolomites en Italie et le premier à réaliser l'ascension de l'arête sud (Spallagrat) du Piz Bernina, qui est aujourd'hui la voie normale.



700 m de dénivelé plus loin et à 2500m d'altitude, on parvient au front du Glacier Blanc et au refuge du même nom. Un spectacle étonnant ! La langue du glacier s'arrête net, d'énormes séracs s'accrochent à flanc de rochers. Derrière, ce n'est plus que glace, neige, crevasses. Une zone de séracs est généralement une partie difficile à franchir (voir ci-dessous les photos...) lors de la progression sur glacier. Mais c'est surtout la chute de séracs vers l'aval qui est potentiellement très dangereuse pour les alpinistes : la glace se fracture en blocs, une partie fond et se détache d'un coup, provoquant des avalanches. On aura droit au spectacle le lendemain, de loin, sous le Dôme des Écrins.














Refuge du Glacier Blanc
À partir du refuge du Glacier Blanc, la donne change : tous les randonneurs s'arrêtent, seuls les alpinistes continuent. Il est impossible de passer le bassin supérieur d'alimentation du glacier sans équipment. A partir de ce moment-là, c'est crampons, piolet, casque et on avance encordé. Un sentier sur la moraine du glacier permet bien d'accéder au plateau en contrefort, mais le problème se repose plus loin lors du franchissement des crevasses.
Le glacier Blanc est le plus grand glacier du massif des Écrins. D'une longueur de 5 km, il débute sous le sommet de la Barre des Écrins (4102m), et descend de son versant nord pour finir sa course à 2300m au-dessus du refuge du Glacier Blanc. Il a une forme concave et arquée, et son front est orienté vers le sud. Son épaisseur est d'environ 200 m au niveau du bassin supérieur. Sa surface est passée en dessous des 7 km2 suite au recul des dernières années. Sa largeur, relativement constante, est comprise entre 800m et 1000m sur son ensemble. Du fait qu'il est peu encaissé dans son environnement montagneux, seule une légère superficie de roches surplombe le glacier Blanc ce qui engendre l'absence presque totale de moraines. Il possède donc une surface blanche immaculée de pierres, ce qui explique l'origine de son qualificatif Blanc. Depuis les deux dernières décennies, la longueur du glacier décroît de plus en plus rapidement. Son front a reculé de 210 mètres entre 1989 et 1999, puis à nouveau de 300 mètres entre 2000 et 2006. En contrepartie, une accumulation importante se développe dans son bassin supérieur. Le glacier donne accès à de nombreux sommets connus : Dôme de Neige des Écrins, Barre des Écrins, Roche Faurio, Pic de Neige Cordier, Montagne des Agneaux, etc.
En quittant le refuge du Glacier Blanc :































Replat au-dessus du front. Il paraît que depuis l'automne 2007, une grotte est en train de se former dans la glace, creusant ainsi deux crevasses transversales et provocant une menace de fracture et de séparation de la partie inférieure de la langue. Celle-ci disparaîtrait rapidement, et provoquerait le recul du front à plus de 2700 m d'altitude.



Glacier Blanc, bassin supérieur :




Une fois la partie en glace franchie au piolet et les crevasses passées, on remonte toute la partie supérieure du glacier jusqu'au refuge des Écrins. Encore quelques heures de marche, encordés long, dans un cadre grandiose. Extraordinaire beauté de la nature...



Au loin, surgit le majestueux et imposant Dôme des Écrins :




Vers 16h, arrivée refuge des Écrins, 3170m.

En arrière-plan, le Dôme des Écrins, l'objectif des prochains jours...
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1 commentaire:

sf-tahoe girl a dit…

Wauw, wat mooi Sandrine! Lijkt me een heel avontuur ook.