De mes doigts qui gèlent, je combine les couleurs. Lumière et ombre. Je m'attache à des juxtapositions de teintes : mais la vérité de l'instant naît sous mes doigts dans un fondu de nuances. Je recherche l'énergie inhérente à la pensée mythique qui électrise le paysage en m'efforçant de ne jamais donner l'impression que ce que je vois est achevé, mais bien au contraire, en constante métamorphose. Il faut avoir l'œil et les gestes sûrs : des superpositions n'aboutissent qu'à l'informe. En tracés, puis par touches rapides : les demi-teintes du ciel, de la toundra, de la neige glissent l'une sur l'autre et s'évanouissent dans une vapeur d'eau. Je questionne le paysage en m'attachant à l'expressivité du détail. […] Le blanc n'est ici jamais blanc, mais blanc de céruse ou glauque ; la toundra Sienne brûlée ou brun de Saturne ; la mer est bleu de fer, gris-noir, vert-bouteille, vert-bronze... l'irisé des vagues écrête les reflets scintillants des glaces.
Je m'attache à mieux scruter quatre éléments : la pierre, la neige cristallisée, l'eau vive et l'ocean ; l'air enfin. Je ne ressens les volumes qu'aux toutes premières minutes de l'aurore, dans la brume d'une lumière mouillée ; le soir venu, après le crépuscule et avant que la sombre nuit ne gagne le ciel, les teintes se hiérarchisent : alors, j'accours. […]
A ces commencements et ces achèvements, j'emprunte quelques couleurs privilegiées : le noir anthracite, le gris-roux de la terre ou le gris clair des nuages qui se perdent, le rouge de plomb à l'occident, l'orange et l'ocre-jaune à l'est ; ces sont des plus ; et le bleu, le violet qui sont des moins du cercle chromatique de Goethe.
Jean Malaurie, Hummocks I. De la pierre à l'homme avec les Inuit de Thulé, page 17.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire