Des crânes du monde entier, alignés dans une semi-obscurité, accueillent le visiteur du Musée d'Arts Africains, Océaniens, Amérindiens (M.A.A.O.A) à Marseille. Le professeur Henri Gastaut (1915-1995), éminent neurologue, spécialiste du cerveau et grand collectionneur, constitue entre 1955 et 1978 une collection autour de la thématique du crâne. Cet ensemble unique, composé de crânes humains sculptés, surmodelés, peints, gravés, momifiés ou réduits, est considéré comme la collection privée la plus importante du monde. Conscient de l'unicité de sa collection, Henri Gastaut propose à la ville de Marseille d'en faire son acquisition en 1989, afin d'éviter la dispersion des 88 pièces qui la composent.
La collection comprend des pièces extraordinaires : des crânes de Paouasie-Nouvelle-Guinée et du Vanuatu, des têtes réduites du Shuar d'Amazonie ou encore la célèbre tête-trophée Munduruku du Brésil.
On y trouve une autre pièce exceptionnelle, tant par sa qualité esthétique que par son histoire : un crâne provenant du Mexique dont la face est entièrement recouverte d'une mosaïque de turquoises ; un bandeau noir, constitué de petites tesselles taillées dans une pierre noire ressemblant à de l'obsidienne, orne le front et le menton ; les yeux sont soulignés par des cercles de coquillages. La colle qui scelle les tesselles est d'origine organique, à base de cochenilles écrasées. Sa forme allongée vers l'arrière évoque les déformations crâniennes pratiquées dans certaines civilisations de Mésoamérique.
Vers les années 1960, ce crâne apparaît d'abord dans un film, L'Homme de Rio. Il est ensuite volé pour resurgir alors sur le marché, avant d'être acheté par Henri Gastaut qui l'intègre à sa collection. A partir de ce moment-là, son authenticité est contestée. En 1989, le M.A.A.O.A. en fait l'acquisition. Depuis, le Centre de recherche et de restauration des musées de France a entrepris des analyses approfondies. Est-il un original ou le produit d'un faussaire ? L'énigme n’est pas résolue à ce jour, même si peu d'experts doutent encore de sa valeur. Ce crâne, provenant du Mexique, serait d'origine mixtèque. Les mosaïques de pierres constituent l'une des plus anciennes formes d'expression artistique des civilisations méso-amérindiennes. L'analyse de ces prestigieux minéraux utilisés dans la réalisation de masques et de bijoux met en évidence l'importance de la symbolique des pierres et des couleurs dans les civilisations préhispaniques. Les artistes mixtèques étaient considérés par leurs contemporains comme de véritables orfèvres en la matière.
Que nous dit ce crâne ? Il se trouve au sommet du squelette : siège de la pensée, de la vie intellectuelle, du commandement, de l'âme. Sa demeure peut-être, son véhicule certainement. On observe le culte des têtes coupées dans de nombreuses sociétés organisées, le crâne-trophée représentant la supériorité du chasseur sur l'animal ou du guerrier sur son ennemi. S'approprier le crâne d'une personne équivaudrait à s'emparer de son âme et de sa force vitale. Mais le crâne a aussi la forme d'une voûte. Homologue de la voûte céleste, caverne miniature ? Le crâne serait peut-être une translation du microcosme au macrocosme. L'univers contenu.
Parmi les principaux rites des Asmat, ce peuple vivant dans les zones marécageuses de la Nouvelle-Guinée rattachée à l'Indonésie, la chasse aux têtes a longtemps été un pratique culturelle importante avant d'être interdite dans les années 1960. Le rite était lié à la fertilité et au repos des défunts car les Asmat pensaient qu'aucune mort n'était naturelle et qu'il fallait la venger. Le crâne d'un ennemi servait également aux rites d'initiation lors desquels le jeune homme recevait son nom complet et ainsi, son identité. La chasse aux têtes n'était pas considérée par les Asmat comme infamante : ainsi, après l'éxécution, le meurtrier pouvait être reçu dans la famille du mort qui possédait à leurs yeux une part importante de l'identité du défunt.
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