Pourtant ce genre de récits rencontre une faveur qui reste pour moi inexplicable. L'Amazonie, le Tibet et l'Afrique envahissent les boutiques sous forme de livres de voyage, compte-rendus d'expédition et albums de photographies où le souci de l'effet domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la valeur du témoignage qu'on apporte. Loin que son esprit critique s'éveille, il demande toujours davantage de cette pâture, il en engloutit des quantités prodigieuses. C'est un métier, maintenant, que d'être explorateur ; métier qui consiste, non pas, comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d'années studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou animées, de préférence en couleur, grâce à quoi on remplira une salle, plusieurs jours de suite, d'une foule d'auditeurs auxquels des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement transmutées en revelations pour la seule raison qu'au lieu de les démarquer sur place, leur auteur les aura sanctifiées par un parcours de vingt mille kilomètres.
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Chapitre : La fin des voyages, page 11.
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