Plus légèrement vêtu que de coutume et foulant les méandres ondulés d'un revêtement en mosaïque blanche et noire, je perçois, dans ces rues étroites et ombreuses qui coupent l'avenue principale, une ambiance particulière ; le passage est moins marqué qu'en Europe entre les demeures et la chaussée ; les magasins, malgré le luxe de leur devanture, prolongent l'étalage jusque dans la rue ; on ne prête guère attention si l'on est dehors ou dedans. En verité, la rue n'est plus seulement un endroit ou l'on passe ; c'est un lieu où on se tient. Vivante et paisible en même temps, plus animée et mieux protégée que les nôtres, je retrouve le terme de comparaison qu'elle m'inspire. Car les changements d'hémisphère, de continent et de climat n'ont guère, pour le moment, fait autre chose que de rendre superflue la mince couverture vitrée qui, en Europe, établit artificieusement des conditions identiques : Rio paraît d'abord reconstituer à l'air libre les Gallerias de Milan, la Gallerij d'Amsterdam, le passage des Panoramas ou la hall de la gare Saint-Lazare.
On conçoit généralement les voyages comme un déplacement dans l'espace. C'est peu. Un voyage s'inscrit simultanèment dans l'espace, dans le temps, et dans la hiérarchie sociale. Chaque impression n'est définissable qu'en la rapportant solidairment à ces trois axes, et comme l'espace possède à lui seul trois dimensions, il en faudrait au moins cinq pour se faire du voyage un représentation adéquate.
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Chapitre : Le Nouveau Monde, page 92.
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