On a besoin de peu pour exister : peu d'espace, peu de nourriture, peu de joie, peu d'ustensiles ou d'outils ; c'est la vie dans un mouchoir de poche. En revanche, il semble y avoir beaucoup d'âme. On le sent à l'animation de la rue, à l'intensité des regards, à la virulence de la moindre discussion ; à la courtoisie des sourires qui marquent le passage de l'étranger, accompagné souvent, en pays musulman, d'un salaam la main portée au front. Comment interpréter autrement l'aisance avec laquelle ces gens prennent place dans le cosmos ? Voilà bien la civilisation du tapis de prière qui représente le monde, ou du carré dessiné sur le sol qui définit un lieu de culte. Ils sont là, en pleine rue, chacun dans l'univers de son petit étalage et vaquant placidement à son industrie au milieu des mouches, des passants et du vacarme : barbiers, scribes, coiffeurs, artisans. Pour pouvoir résister, il faut un lien très fort, très personnel avec le surnaturel, et c'est là que réside peut-être un des secrets de l'Islam et des autres cultes de cette région du monde, que chacun se sente constamment en présence de son Dieu.
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Chapitre : La Terre et Les Hommes, pages 160/161.
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