Weekend du 4 et 5 mai, grande randonnée sur deux jours pour ralier les villes maritimes d'Enkhuizen et de Hoorn par le Westfriese Omringdijk. Cette digue circulaire de 126 km englobe la Frise-Occidentale, une région historique naturelle du nord de la province de Hollande-Septentrionale, située au sud du polder Westflinge. La Frise-Occidentale, qui connaît une longue tradition de construction de digues permettant d'assècher ou d'humidifier les territoires gagnés sur la mer, se caractèrise par des paysages agricoles. Le Westfriese Omringdijk passe, entre autre, par les villes de Enkhuizen, Hoorn, Alkmaar, Schagen et Medemblik.
Une petite heure de train depuis Amsterdam pour rejoindre Enkhuizen. Un coup d'œil par la fenêtre, et c'est un paysage typiquement hollandais qui s'offre au regard : polders, canaux qui serpentent dans le vert de l'herbe et petits ponts qui les enjambent. Le polder, ce paysage d'apparence simple et banale, est pourtant unique en son genre, exceptionnel dans son arhitecture et un admirable témoin du temps, du peuple néerlandais, de son génie maritime et des concepts d'aménagement territorial mis en place en Hollande.
Arrivée à Enkhuizen et visite du Zuiderzeemuseum, un musée de plein air retraçant toute l'histoire et la culture qui est née, a flori et s'est finalement éteinte autour du Zuiderzee. Le musée donne essentiellement à voir des bâtiments historiques originaux et présente les modes de vie du Zuiderzee. Le musée de plein air est doublé d'un musée intérieur qui présente la culture du Zuiderzee.
Le Zuiderzee était un golfe du centre-nord des Pays-Bas qui a désormais disparu. À l'époque romaine, le lac Flevo occupe une partie de ce qui deviendra ensuite le Zuiderzee. Il est relié à la mer du Nord par une rivière, la Vlie, qui se situe entre les îles actuelles de Vlieland et Terschelling. Des dunes le protègent du grand large. En 838, après une grande inondation, la mer gagne du terrain, puis, pendant deux siècles, la situation se stabilise. Après une série de tempêtes, le lac tend cependant à s'agrandir et à devenir une mer intérieure. Les Néerlandais ont d'ailleurs un mot spécifique pour designer ce phénomène et la peur qui y est liée :
waterwolf, le ''loup des mers' qui désigne la tendance d'un lac à se transformer en mer. Ce terme montre aussi à quel point l'eau fait partie, à juste titre, des préoccupations ancestrales des Néerlandais. L'eau dans la culture néerlandaise, un chapitre passionnant...
L'inondation de la Sainte-Julienne en 1164, suivie d'inondations catastrophiques en 1212, 1214 et 1219 (inondations de la Saint-Marcel), détruisent les barrières naturelles, et en 1248 les dunes de Callantsoog sont dévastées. Les inondations de 1282 emportent la connexion entre Texel et le continent. La désastreuse inondation de la Sainte-Lucie en 1287 fait des dizaines de milliers de morts. Ce processus remodèle finalement la région et finit par créer une étendue d'eau désormais appelée le
Zuiderzee, littéralement la ''mer du Sud''. Le lac devient un golf intérieur et le reste jusqu'en 1932. Cette mer intérieure est alors un important centre de liaison commerciale : les navires de commerce parcourent les mers ; des ports comme Kampen et Harderwijk font partie de la ligue hanséatique, les ports de Hoorn et d'Amsterdam florissent. La pêche est très active : en 1900, à son apogée, elle comptait environ 3 000 barges de capture du hareng, de l'anchois, de l'anguille, de la limande et de la crevette.
Au cours du XIXème siècle se pose finalement la question de la remise en état totale ou partielle du Zuiderzee. les fameux travaux du Zuiderzee sont lancés, un grand projet de poldérisation et l'une des plus grandes entreprises d'ingénierie maritime jamais réalisées par l'homme. La pièce maîtresse du chantier, préalable à l'assèchement de la région en vue de sa poldérisation et terminée en 1932, est l'
Afsluitdijk, une digue de 32 km qui relie les provinces de la Hollande-Septentrionale et de la Frise. Les polders du Flevoland et le Noordoostpolder sont ensuite créés entre 1930 et 1968. La partie fermée devient alors un immense lac d'eau douce, l'
IJsselmeer. Au delà, l'étendue d'eau restée ouverte jusqu'aux îles de la Frise, fait désormais partie de la Mer des Wadden.
Arrivée à Enkhuizen en train et départ en bateau pour le Zuiderzeemuseum :
Ce jour-là, j'apprends l'histoire de la famille Bording qui a profondément marqué les esprits des habitants de la région. On en parle encore aujourd'hui, et il existe des livres d'aventure et des films retraçant cette épopée de 14 jours, à la dérive, sur une calotte de glace, quasiment sans nourriture et eau potable...
Samedi 13 janvier 1849 au matin, trois pêcheurs de Durgerdam, Klaas Bording (45 ans) et ses deux fils Klaas (19 ans) et Jacob (17 ans) partent à la pêche et s'aventurent sur le Zuiderzee, recouvert de glace. On est en plein hiver. Pas très loin du village de Muiden, ils trouvent un coin qui semble mordre et restent à pêcher jusqu'à une heure avancée de la nuit. Vers deux heures du matin, ils se rendent compte qu'ils dérivent sur un glaçon qui s'est détaché pendant qu'ils pêchaient.
Dimanche 14 janvier, ils aperçoivent la terre ferme, mais ne peuvent amarrer. Le vent les pousse vers la mer. Dans la soirée, ils atteignent les côtes de Marken. Le dernier morceau de pain bis est englouti.
Lundi 15 janvier, le vent continue à les entraîner en direction du sud. La calotte commence à fondre. Les Bording mangent le poisson cru pêché, rincé à l'eau de mer.
Mardi 16 janvier, ils apercoient les tours de Nijkerk, mais le vent continue à les pousser dans la mauvaise direction. Pour mieux diriger leur précaire embarcation, ils jettent une partie de leur pêche à l'eau. Il leur reste cinquante poissons comme victuailles.
Mercredi 17 et jeudi 18 janvier, la calotte a tellement fondu qu'ils sont obligés de sauter sur des glaçons plus solides qui dérivent eux aussi. Ils n'ont plus aucune idée de l'endoit où ils se trouvent désormais. Dans un acte de désespor, le père Bording, ne voyant plus aucune issue, décide de briser toute la calotte et de faire couler l'embarcation et les trois hommes. Son jeune fils Jacob l'en empêche.
Vendredi 19 janvier, un bateau est lancé à la rescousse des Bording depuis Durgerdam.
Samedi 20 janvier, le père Bordin reprend espoir. Malgre le brouilard, le crachin et la glace qui fond, la calotte se stabilise. Mais quand le crachin s'arrête enfin, un orage s'annonce...
Dimanche 21 janvier, les Bording découvrent, en sondant la profondeur de l'eau, qu'ils se déplacent sur le banc de sable d'Enkhuizen, pas très loin de la bourgade. Il appellent au secours. Personne ne les entend.
Lundi 22 janvier, les Bording poursuivent leur route vers Urk. La calotte menace de se diriger vers la pleine mer. Heureusement, le vent tourne et ils reprennent la route du nord, vers Urk. Entre-temps, le bateau parti à leur recherche et ne les ayant pas retrouvés abadonne et revient
bredouille à Durgerdam.
Mardi 23 et mercredi 24 janvier, les trois hommes sont pris en pleine tempête entre Urk et Schokland.
Jeudi 25 janvier dans l'après-midi, ils aperçoivent tout à coup des habitants de Schokland, mais leurs cris d'appel ne sont pas entendus. Entre-temps, la calotte de glace est devenue tellement petite qu'ils sont forcés de ne garder que l'essentiel et de jetter à la mer hameçons, cannes et tout ce qui pourrait encore leur servir pour se ravitailler.
Vendredi 26 janvier, le courant les pousse à nouveau vers la mer. Le père Bording n'a plus rien mangé depuis quatre jours. Klaas et Jacob ne se nourissent plus que de poisson cru.
Samedi 17 janvier dans l'après-midi, ils s'approchent du village de Vollenhove. Ils accrochent la cafetière qu'il avaient gardée et un mouchoir au mat pour attirer l'attention... on les aperçoit enfin ! Des pêcheurs qui rentraient au port remarquent la calotte de glace et viennent à leur secours. Vers six heures du soir, les Bording touchent enfin la terre ferme à Vollenhove.
Dimanche 4 février, la mère Bording arrive par bateau à Vollenhove.
Lundi 5 fevrier, le fils Klaas meurt, trop éprouvé par ces quatorze jours de navigation.
Lundi 26 fevrier, trois semaines plus tard, le père rend l'âme. Seul le plus jeune fils, Jacob, survivra à cet impitoyable voyage et rentrera sain et sauf à Burgdam.
Voilà leur trajet, retracé sur une carte d'époque :
Poursuite de la route dans Enkhuizen (environ 19 000 habitants), la plus grosse bourgade de la Frise-Occidentale, située à la fois sur les rives du lac Markermeer et sur l'IJsselmeer. Enkhuizen est surnommée ''la ville du hareng'', ce poisson faisant partie intégrante de son passé, sa culture culinaire et son économie traditionnelle. Outre le hareng, c'est l'anguille fumée qui fait la réputation de la ville - un délice !
La figure du gaper, le ''bâilleur'', est l'ancienne emblème des pharmacies neerlandaises. On la trouvait essentiellement à Amsterdam. Le gaper est une tête d'homme, la bouche grande ouverte et quelquefois tirant la langue. Il est coiffé d'un turban, ce qui lui donne l'aspect d'un Maure ou d'un Musulman, comme on se les représentait volontiers à l'époque. En fait, le gaper ne bâille pas ; il ouvre la bouche pour prendre ses médicaments. La grimace en rapellerait le mauvais goût. Pourquoi une tête arabe ? Le 17ème siècle était féru de mode turque, chinoise, japonaise. L'origine exotique de la tête rapelle la provenance des épices et herbes découvertes à cette époque et qui servaient aux preparations médicinales.
Dans le village, une fromagerie d'époque...
... quelques photos de costumes traditionnels...
... et des dizaines de sabots qui jonchent le sol dans la salles de jeu des enfants...
Dehors, paysages et bateaux de Hollande :
Au détour d'un bâtiment, découverte d'une pièce entièrement decorée par (le très adulé)
Hugo Kaagman :
En sortant du musée de plein air, le port d'Enkhuizen :
Les armoieries d'Enkhuizen datent de l'époque où Enkhuizen obtient, en 1355, le statut officiel de ville et les droits octroyées aux bourgades reconnues comme telles. Les armoieries représentent trois harengs (sur la plus ancienne archive retrouvée de 1361, les harengs sont dressés) et sont sans doute à mettre en rapport avec le passé de pêche de la ville. A partir de 1583, les harengs apparaissent placés horizontalement sur un bouclier. Celui-ci est tenu par une femme* qui se tient à côté. Les harengs sont tournés vers la droite de la figure féminine. En 1816, Enkhuizen prend de nouvelles armoieries, reconnues par le Hoge Raad van Adel (Conseil du gouvernement néerlandais pour les questions d'héraldique). Cette fois, les harengs sont orientés vers la gauche. Contrairement aux armoieries de la ville, on retrouve ces harengs couronnés dans d'autres documents officiels comme, par exemple, sur les fameuses cartes de l'atlas de Blaeu. Les couleurs des armoieries ont toujours étaient bleu azur et argent.
Le cygne, insigne des églises évangéliques luthériennes aux Pays-Bas :
Le Drommedaris (dromadaire) est le bâtiment emblématique de la ville. Il s'agit de la porte fortifiée qui permettait d'entrer dans la ville par le sud. Son premier nom était d'ailleurs Zuiderpoort (porte du sud) ou Ketenpoort (porte des chaînes). Cette forification se trouvait à l'origine sur le Westfriese Omringdijk et date de 1540. Au cours des siècles, le Drommedaris a servi de poudrière, de prison, de caserne, d'accises, de filature, de bureau des télégraphes. C'est maintenant un centre culturel pour la jeunesse.
Vue depuis le Drommedaris et retour par le port d'Enkhuizen :
Les derniers kilomètres nous mènent à Venhuizen où nous passeront la nuit avant de repartir vers une nouvelle étape.
Le lendemain, départ pour une route de 25 km sur le Wesfriese Omringdijk :
... et l'IJsselmeer au fil des kilomètres...
Au bout de 25 km de marche, la ville de Hoorn se profile...
Hoorn naît au XIIème siècle. Après la fondation de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales, qui avait un siège dans cette ville en 1603, Hoorn prend vite l'envergure d'une ville portuaire de rang international. Beaucoup de marins et explorateurs renommés - Jakob Le Maire ou encore Willem Cornelisz Schouten qui décrouvrit en 1616 le cap Hoorn et le baptisa du nom de sa ville natale - viennent de Hoorn. La concurrence des Anglais et de la ville d'Amsterdam fait que le commerce s'atténue ensuite progessivement. Hoorn devient peu à peu un port de pêche et une place de marché régionale. La ville comporte de nombreux monuments historiques, des églises, la mairie, la Bascule de la ville, et maintes maisons datant des XVIIème et XVIIIème siècles.
L'origine du nom de Hoorn reste incertaine. Hoorn - dans son ancienne orthographie Hoern(e) ou Hoirne - signifie 'corne' et est effectivement située sur une presqu'île de l'IJsselmeer qui a la forme d'une corne. Mais une légende frisonne raconte aussi qu'il s'agit d'Hornus, le beau-fils du roi Radboud. Radbod Ier, Ratbod ou Redbad, roi des Frisons qui régna sur la Frise de 679 environ à sa mort en 719, resta fidèle au paganisme et s'opposa à Pépin II de Herstal, dit Pépin le Gros ou encore Pépin le Jeune et aux Royaumes Francs. D'autres enfin estiment que le nom proviendrait d'une enseigne représentant un cor postal (posthoorn en néerlandais) qui aurait été trouvée au début du XIVème siècle dans un établissement de la ville, près de la place Roode Steen.
Les 'Scheepsjongens van Bontekoe'
Dans la ville, on retrouve les trois petits Aventuriers du grand large : Hajo (Peter-Hajo), Rolf et Padde. L'histoire est tirée du livre éponyme pour enfants écri par Johan Francius et publié en 1923. L'aventure est inspirée du naufrage de Willem IJsbrantsz Bontekoe. L'histoire se déroule au 17ème siècle. Peter-Hajo (Hajo de son diminutif), Padde et Rolf sont amis. Leurs aventures, sur le Nieuw-Hoorn, un bâtiment de la VOC** sous la commandement du capitaine Bontekoe, les mèneront jusqu'a Java.
Willem IJsbrantsz Bontekoe (2 juin 1587 à Hoorn - † 1657) était un capitaine hollandais au service de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales (VOC) pour laquelle il ne commanda qu'un seul navire, le temps d'un voyage. Il doit sa renommée à la publication, en 1646, d'une version remaniée de son journal de bord sous le nom de Journael ofte gedenckwaerdige beschrijvinge van de Oost-Indische reyse van Willem IJsbrantsz Bontekoe van Hoorn, begrijpende veel wonderlijcke en gevaerlijcke saecken hem daer in wedervaren (''Journal ou description mémorable du voyage aux Indes Orientales de Willem IJsbrantsz Bontekoe de Hoorn, incluant les nombreuses choses merveilleuses et dangereuses qui lui sont arrivées là-bas''). Alexandre Dumas avait déjà restitué le récit du naufrage dans un recueil de quatre naufrages intitulé Les drames de la mer, publié en 1852.
Sur les façades des maisons, de nombreuses décorations rapellent le passé maritime de la ville, le commerce du poivre et des épices avec les Indes Orientales, le cor postal et la licorne rouge, emblèmes de Hoorn :
Jan Pieterszoon Coen (8 janvier 1587 - 21 septembre 1629), officier de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales (VOC), est nommé en 1618 gouverneur général des Indes néerlandaises et fondateur de la Batavia,
le nom du siège de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales en Insulinde de 1619 à 1799 puis de la capitale des Indes néerlandaises de 1799 à 1942. Il s'agit de Jakarta, actuelle capitale de l'Indonésie.
Se profile enfin le hoofdtoren, une forteresse de défense datant de 1532, où la balade se termine autour d'un dernier verre, avant de reprendre le train pour Amsterdam...
* La figure de la patronne comme personnification de la ville ou de la République est un motif connu depuis l'Antiquité Grecque. Les patronnes de Hollande sont généralement des figures iconographiques de Minerve et Athéna. On trouve d'autres patronnes dans les villes d'Amsterdam, de Dordrecht, de Groninge ou par exemple à Hambourg, où elle s'appelle Hammonia.
** Vereenigde Oostindische Compagnie (Compagnie néerlandaise des Indes Orientales).