21 janv. 2013

A la recherche du temps perdu (7)

Ma déception, suite d'une erreur initiale sur ce qu'était Andrée, n'eut, en fait, aucune importance pour moi. Mais l'erreur était du genre de celles qui, si elles permettent à l'amour de naître et ne sont reconnues pour des erreurs que lorsqu'il n'est plus modifiable, deviennent une cause de souffrance. Ces erreurs – qui peuvent être différentes de celles que je commis pour Andrée et même inverses – tiennent souvent, dans le cas d'Andrée en particulier, à ce qu'on prend suffisamment l'aspect, les façons de ce qu'on n'est pas mais qu'on voudrait être, pour faire illusion au premier abord. A l'apparence extérieure, l'affection, l'imitation, le désir d'être admiré, soit des bons, soit des méchants, ajoutent les faux semblants des paroles, des gestes. Il y a des cynismes, des cruautés qui ne résistent pas plus à l'épreuve que certaines bontés, certaines générosités. De même que l'on découvre un avare vaniteux dans un homme connu pour ses charités, sa forfanterie de vices nous fait supposer une Messaline dans une honnête fille pleine de préjugés. J'avais cru trouver en Andrée une créature saine et primitive, alors qu'elle n'était qu'un être cherchant la santé, comme étaient beaucoup de ceux en qui elle avait cru la trouver et qui n'en avait pas plus la réalité qu'un gros arthritique à figure rouge et en veste de flanelle blanche n'est forcement un Hercule. Or, il est telles circonstances où il n'est pas indifférent pour le bonheur que la personne qu'on a aimée pour ce qu'elle paraissait avoir de sain, ne fut en réalité qu'un de ces malades qui ne reçoivent leur santé que d'autres, comme les planètes empruntent leur lumière, comme certains corps ne font que laisser passer l'électricité. 
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 503.

A la recherche du temps perdu (6)

La conversation même qui est le mode d'expression de l'amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquerir. Nous pouvons causer toute une vie sans rien dire que répéter indéfiniment le vide d'une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de verité. Et l'amitié n'est pas seulement denuée de vertu comme la conversation, elle est de plus funeste. Car l'impression d'ennui que ne peuvent pas ne pas éprouver auprès de leur ami, c'est-à-dire de rester à la surface de soi-même, au lieu de poursuivre leur voyage de découverte dans les profondeurs, ceux d'entre nous dont la loi de développement est purement interne, cette impression d'ennui, l'amitié nous persuade de la rectifier quand nous nous retrouvons seuls, de nous rappeler avec émotion les paroles que notre ami nous a dites, de les considérer comme un riche apport alors que nous ne sommes pas comme des bâtiments à qui on peut ajouter des pierres du dehors, mais comme des arbres qui tirent de leur propre sève le nœud suivant de leur tige, l'étage supérieur de leur frondraison.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 468.

A la recherche du temps perdu (5)

Notre mémoire ressemble à ces magasins qui, à leurs devantures, exposent une certaine personne, une fois une photographie, une fois une autre. Et d'habitude la plus récente reste quelque temps seule en vue. Tandis que le cocher pressait son cheval, j'écoutais les paroles de reconnaissance et de tendresse que Gisèle me disait, toutes nées de son bon sourire, et de sa main tendue : c'est que dans les périodes de ma vie où je n'étais pas amoureux et où je désirais de l'être, je ne portais pas seulement en moi un idéal physique de beauté qu'on a vu que je reconnaissais de loin dans chaque passante assez éloignée pourvu que ces traits confus ne s'oppossassent pas à cette identification, mais encore le fantôme moral – toujours prêt à être incarné – de la femme qui allait être éprise de moi, me donner la réplique dans la comédie amoureuse que j'avais toute écrite dans ma tête depuis mon enfance et que toute jeune fille aimable me semblait avoir la même envie de jouer, pourvu qu'elle eût aussi un peu le physique de l'emploi. De cette piece, quelle que fût la nouvelle ''étoile'' que j'appelais à créer ou à reprendre le rôle, le scénario, les péripéties, le texte même gardait une forme ne varietur.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 452.

A la recherche du temps perdu (4)

Car ce que les gens ont fait, ils le recommencent indéfiniment. Et qu'on aille voir chaque année un ami qui les premières fois n'a pu venir à votre rendez-vous, ou s'est enrhumé, on le retrouvera avec un autre rhume qu'il aura pris, on le manquera à un autre rendez-vous où il ne sera pas venu, pour une même raison permanente à la place de laquelle il croit voir des raisons variées, tirées des circonstances.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 448.

A la recherche du temps perdu (3)

Je restais maintenant volontiers à table pendant qu'on desservait, et si ce n'était pas un moment où les jeunes filles de la petite bande pouvaient passer, ce n'était plus uniquement du côté de la mer que je regardais. Depuis que j'en avais vu dans les aquarelles d'Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j'aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des coûteaux encore des travers, la rondeur bombée d'une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à  demi vide qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l'éclairage, l'altération des prunes qui passent du verre au bleu et du bleu à l'or dans le compotier déja à demi depouillé, la promenade vieillottes des chaises qui deux fois par jour vienennt s'installer autour de la nappe, dressée sur la table ainsi que sur un hôtel ou sont célébrées les fêtes de la gourmandises et sur laquelle au fond des huitres quelques gouttes d'eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre. J'essayais de trouver la beauté la où je m'étais figurée qu'elle fût, dans les choses les plus usuelles, et dans la nature profonde des natures mortes.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 432.

A la recherche du temps perdu (2)

Comme le risque de déplaire vient surtout de la difficulté d'apprécier ce qui passe ou non inaperçu, on devrait au moins, par prudence, ne jamais parler de soi, parce que c'est un sujet ou on peut être sûr que la vue des autres et la nôtre propre, ne concordent jamais. Si on a autant de surprises qu'à visiter une maison d'apparence quelconque dont l'intérieur est rempli de trésors, de pince-monseigneurs et de cadavres quand on découvre la vraie vie des autres, l'univers réel sous l'univers apparent, on n'en éprouve pas moins si, au lieu de l'image qu'on s'était faite de soi-même grâce à ce que chacun nous en disait, on apprend par le langage qu'ils tiennent à notre egard en notre absence, quelle image entièrement différente ils portaient en eux de nous et de notre vie.
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 310.

A la recherche du temps perdu (1)

"Or, en sortant du concert, comme, en reprenant le chemin qui va vers l'hôtel, nous nous étions arrêtez un instant sur la digue, ma grand-mère et moi, pour échanger quelques mots avec Mme de Villeparisis qui nous annonçait qu'elle avait commandé pour nous à l'hôtel des ''croque-monsieurs'' et des œufs à la crème, je vis de loin venir dans notre direction le princesse de Luxembourg, à demi appuyée sur une ombrelle de façon à imprimer à son grand et merveilleux corps cette légère inclinaison, à lui faire dessiner cette arabesque si chères aux femmes qui avaint été belles sous l'Empire et qui savaient, les épaules tombantes, le dos remonté, la hanche creuse, la jambe tendue, faire flotter mollement leur corps comme un foulard, autour de l'armature d'une invisible tige inflexible et oblique qui l'aurait traversé."
Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, page 267.

1 janv. 2013

Le goût des Pays-Bas (11): oliebollen, beignets du réveillon

Les oliebollen (appelées aussi croustillons en France, püpperchen en Alsace ou smoutebollen en Belgique) sont des beignets frits, avec ou sans raisins secs, et généralement saupoudrés de sucre glace.
Pendant la période des fêtes aux Pays-Bas, les oliebollen sont vendues dans des stands de rue et mangées le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre.
Amsterdam, Leidesplein, 12/2102.