29 oct. 2022

De la belle étoile (2), de la solitude et de l'accompagnement

Le monde extérieur dont nous nous protégeons dans nos maisons, semblait après tout un lieu charmant et habitable. Nuit après nuit, un lit est fait et nous attend dans les champs, où Dieu tient chambre ouverte. Je pensais avoir redécouvert l'une de ces vérités qui sont révélées aux sauvages et cachées aux économistes politiques. Du moins avais-je découvert un plaisir nouveau pour moi. Pourtant, alors même que j'exultais dans ma solitude, je pris conscience d'un étrange manque. J'aurais voulu une compagne couchée près de moi à la lueur des étoiles, silencieuse et immobile, mais toujours à portée de main. Car il est une compagnie plus tranquille même que la solitude, et qui, bien comprise, est la solitude rendue parfaite. Et vivre à la belle étoiles avec la femme qu'on aime est de toutes les vies la plus complète et la plus libre.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 85.

23 oct. 2022

Du grand calme intérieur

C'était un ancien soldat,qui avait fait du service et s'était élevé jusqu'au rang de commandant, et il gardait un peu des manières brusques et catégoriques du camp. Dès que sa démission avait été acceptée, il était venu à Notre-Dame-des-Neiges comme pensionnaire et, après une brève expérience du lieu, avait décidé de rester en tant que novice. Cette vie nouvelle commançait déjà à modifier son apparence. Il avait déjà en partie acquis l'air tranquille et souriants des frères ; il n'était plus officier et pas encore trappiste, mais il y avait en lui un peu des deux. C'était assurément une situation bien intéressante. Sorti du bruit des canons et des trompettes, il était en train de gagner ce pays paisible qui borde la tombe, où les hommes dorment la nuit vêtus de leur linceul et où, tels des fantômes, ils communiquent par signe.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 70.

22 oct. 2022

De la belle étoile (1)

Sous un toit, la nuit est une période morte, monotone, mais en plein air, elle passe légèrement, avec ses étoiles, ses rosées et ses parfums, et les heures sont marquées par les changements dans le visage de la nature. Ce qui paraît être unem mort momentanée pour ceux qu'étouffent murs et rideaux, n'est qu'un léger sommeil vivant pour qui dort à la belle étoile. Toute la nuit durant, il entend la nature respirer librement et profondément. Même quand elle est au repos, elle se retourne et sourit, et il est une heure exaltante inconnue de ceux qui vivent sous un toit, lorsqu'une influence ennemie du sommeil se répand sur l'hémisphère endormi, et que toutes les créatures sont debout. C'est alors que le coq chante pour la premoière fois, non pour annoncer l'aurore, mais comme un joyeux veilleur qui presse le cours de la nuit. Les troupeaux s'éveillent dans les prés, les moutons rompent leur jeûne sur les coteaux humides de rosée, et gagnent un nouveau pâturage parmi les fougères, et les hommes vagabonds, qui se sont couchés avec les oiseaux, ouvrent leurs yeux ensommeillés et contemplent la beauté de la nuit.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 83.

13 oct. 2022

Sylvain Tesson, Blanc [2022]: dédicace pour un autre cheminement

Du 13 juin au 28 août 2019, j'effectuais une transalpine de Venise à Menton, de l'Adriatique à la Méditerrannée, par l'arc alpin, couvrant en 72 jours 1600 km, traversant 5 pays alpins, franchissant 132 cols, avalant 120 000 m de dénivelé cumulé pour sillonner une géographie aussi physique qu'esthétique ; traverser mille et un paysages ; apercevoir des visages sculptés par les vallées et les sommets ; apprécier la lumière, le caillou, la difficulté, le moment, le pas, l'équilibre, l'air, le rayon de soleil sur le lac ; fouler les chemins, frôler les herbes, passer les frontières à pied ; marcher dans une splendeur chaque jour renouvelée.
De son parcours, Sylvain Tesson dit :
Avec mon ami le guide de haute montagne Daniel du Lac, je suis parti de Menton au bord de la Méditerranée pour traverser les Alpes à ski, jusqu’à Trieste, en passant par l’Italie, la Suisse, l’Autriche et la Slovénie. De 2018 à 2021, à la fin de l’hiver, nous nous élevions dans la neige. Le ciel était vierge, le monde sans contours, seul l’effort décomptait les jours. Je croyais m’aventurer dans la beauté, je me diluais dans une substance. Dans le Blanc tout s’annule — espoirs et regrets. Pourquoi ai-je tant aimé errer dans la pureté ?

11 oct. 2022

Du sac de couchage

J'avais décidé, sinon de camper en plein air, du moins d'en avoir les moyens à ma disposition car rien n’est plus éprouvant pour un esprit détendu que la nécessité d'atteindre un gîte au crépuscule, et ceux qui cheminent à pied ne peuvent pas toujours compter avec certitude sur l'hospitalité d'une auberge de village. Une tente, surtout pour un voyageur solitaire, est ennuyeuse à planter, puis ennuyeuse à démonter ; et même dans la journée, repliée, elle ne passe pas inaperçue. Un sac de couchage, en revanche, est toujours prêt – on n'a qu’à entrer dedans. Il remplit un double emploi, lit la nuit et valise le jour, et il ne signale pas à tous les badauds curieux votre intention de dormir à la belle étoile. C’est un avantage immense. Si votre campement n'est pas secret, on y vient troubler votre repos, vous devenez une personnalité. Le paysan amical, qui a soupé de bonne heure, vient vous voir dans votre lit. Il faut dormir d'un œil, et se lever avant le jour. J'optai pour un sac de couchage, et après plusieurs voyages au Puy, et maintes réjouissances pour moi et mes conseillers, un sac de couchage fut conçu, réalisé et apporté en triomphe chez moi.
Robert Luis Stevenson, Voyage avec un âne dans les Cevennes, page 16.