Il est vrai que la chasse aux papillons est rarement compromettante.
Les dessous de l'entretien avec Valdimir Nabokov* pour Apostrophes, géniale et mythique émission littéraire menée par un génial et mythique Bernard Pivot, jettent une lumière décidément bien nouvelle et hilarante sur l'avis que Nabokov peut avoir sur les questions de syntaxe de la ou "sa" langue francaise ou sur celles de lexique anglais, ainsi que sur l'utilisation créative de ses trois idiomes de travail. Car à ne vouloir (pouvoir?) que réciter ou lire, peut-on, effectivement, plier la liberté d'une syntaxe particulière aux supplices de son imagination ?
Pivot, lui, en risquant les principes-mêmes de l'émission (c'est-à-dire se plier au désir de l'interviewé et lui laisser dicter la marche de l'émission, qui plus est, en voulait faire paraître qu'il en est autrement, bref, ne pas apostropher) offre ainsi à la postérité le seul et unique entretien télévisée de Nabokov, mort un an après. C'est tout à son honneur.
-- Mais vous savez, j'ai été professeur à l'université américaine et j'ai toujours agi de même. Je donnais des cours, je mettais une pile de livres devant et je donnais l'impression à mes étudiants d'improviser, mais bien entendu je lisais tout ce que j'avais préparé. Mais comptez sur moi, je saurais donner au cours de l'entretien cette part d'improvisation qui peut-être trompera les téléspectateurs.
Minute 0:50 de l'entretien de 1975 : la table est bien surchargée de livres. C'est d'ailleurs la première chose qui saute aux yeux lorsque l'on regarde l'émission pour la première fois. On se dit: des livres, logique pour une émission littéraire. Mais pourquoi tant de livres (min: 6:05!) ? Pourquoi placés si haut ?
Pivot – fin-nez, suffisamment intelligent pour supposer autant de finesse chez ses téléspectateurs, poursuit: "Mais bien sûr, ça ne trompait personne, on voyait très bien qu'il lisait son texte, d'ailleurs avec un certain sens du théâtre." Ce qui aussi ne trompe pas, c'est tout simplement sa diction en français et la prosodie qui révèle immédiatement le subterfuge : on entend que le discours est lu ou récité et on entend qu'il s'agit d'un discours écrit.
Minute 5:50 des dessous de l'émission : "J'ai eu Nabokov plusieurs fois au téléphone après, et il m'a dit: --Voilà, je ne peux pas tenir une heure et quart sans boire quand même un peu de whisky, me remonter le moral et me redonner un peu de puissance, de vigueur au cours de cet entretien, donc je voudrais boire un peu de whisky. Mais je ne voudrais pas donner l'exemple au français d'un écrivain qui cède aux puissances de l'alcool, il n'en est pas question. Donc vous mettrez le whisky dans une théière et vous me direz: "Un peu de thé, Monsieur Nabokov?"
Minute 3:44 : la théière, exactement. Et derrière - le discours, tout simplement.
Encore un peu de thé, Monsieur Nabokov ?
Un mystère, cependant, reste entier : qui est donc la dame à la robe noire traversant l'arrière-plan du cadrage des dessous de l'émission ?
Où va-t-elle ? Et surtout, surtout! Qui est donc la deuxième dame au chandail parme qui prend la même direction ?
Où va-t-elle ? Au même endroit que la robe noire ? N'y va-t-elle pas ? Que se passe-t-il finalement à gauche de la télévision ? C'est intrigant toutes ces questions quand on n'y est pas préparé. D'ailleurs, pourquoi revenir quand on est parti ?
Qui est cet homme ? Revient-il de l'endroit d'où il ne venait pas ? Est-ce l'insupportable accordeur de piano ?
Pourquoi accompagne-t-il le chandail parme, justement ? Retournent-ils là d'où la robe noire venait ? Buvaient-ils du thé, n'en buvaient-ils pas ? Une pile de livres se trouvait-elle dans le château au moment où le papillon fut capturé ? Mais surtout, et c'est pire : il y avait-il un gorille invisible dans le voisinage le jour du crime ?
* Dont l'œuvre fait mon admiration, mais l'un n'empêche pas l'autre. Bukowski faisait moins de simagrées avec ses trois bouteilles de vin blanc pour se faire d'ailleurs ramasser le jour de l'émission, au premier comme au second degré. Commentaire d'un invité de l'entretien Pivot/Cavanna/Bukowski, une fois que Bukowski eut quitté le plateau : "Mais c'est de votre faute ! Il fallait mettre un faux vin ! Il fallait mettre de l'eau !" – Pivot : "Mais il a apporté ses bouteilles." – L'invité : "Ah, mais, j'ai cru que c'était la télévision qui les lui offrait, moi !" – Pivot : "Non, il a apporté ses propres bouteilles." – Un autre invité : "Je ne savais pas qu'on pouvait apporter son manger, moi." Pour terminer sur une brillante remarque de Catherine Paysan, représentant la gent féminine ce soir-là : "Vous [s'adressant à Cavanna] pouvait avoir votre vision des femmes, elle ne me gêne pas. Moi, je me suis toujours sentie l'égale des hommes. Mais je pense qu'il ne faut pas confondre l'égalité et l'identité."
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