31 oct. 2010

Tolstoï, Résurrection (2)

Le ton suffisant et vulgaire du libéralisme de Kolossof, le faciès bovin, sensuel et vaniteux du vieux Kortchaguine, l'irritaient ainsi que le maintien gêné de l'institutrice et du répétiteur, et surtout l'emploi de ce pronom le, dont l'avait gratifié Missy. Nekhlioudov avait toujours hésité entre deux sentiments contraires a l'égard de Missy. Tantôt il la voyait à travers des yeux mi-clos ou comme dans un clair de lune, et alors, tout en elle paraissait merveilleux : il la trouvait fraîche, belle, intelligente, naturelle. Tantôt, éclairée par les rayons d'un soleil éclatant, il voyait ses imperfections. Et c'est sous ce jour qu'elle lui apparaissait en cet instant. Il voyait toutes les rides de son visage, il découvrait l'ondulation artificielle de ses cheveux, ses coudes pointus, et surtout, il était frappé par la largeur de l'ongle de son pouce, qui rappelait étrangement l'ongle de son père.
[…]
La maîtresse de maison, la princesse Sophie Vassilievna, était de ces personnes perpétuellement allongées. Depuis sept ans, elle recevait ses invités étendue, environnée de dentelles, de rubans, parmi les velours, les dorures, les bronzes, les laques et les fleurs. Elle ne sortait nulle part et n'était accessible qu'à ceux qu'elle appelait ses amis, c'est-a-dire ceux qui, à son avis, se détachaient du commun des mortels. Nekhlioudov était de ses amis parce qu'il passait pour intelligent, parce que sa mère avait été une amie de la famille Kortchaguine et parce qu'il eût été souhaitable qu'il épousât Missy.

Tolstoï, Résurrection, page 150-151.

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