27 déc. 2011

Kino-pravda et agrandissements successifs

Visionné hier deux canons du cinéma international : de l'art de faire sans scénario ou de finir en queue de poisson. Très bien.

Film muet finalement très musical, Человек с киноаппаратом (L'homme à la caméra), présente une belle mise en abyme du film dans le film et une approche de montage très éclatée grâce à de nombreuses techniques cinématographiques (surimpression, superposition, accéléré, ralenti). Dans l'avertissement aux spectacteurs, Vertov présente lui même son film comme un film expérimental sans aucun scénario et sans intertitres :

"Attention viewers: this film is an experiment in cinematic communication of real events without the help of theatre. This experimental work aims at creating a truly international language of cinema based on its absolute separation from the language of theatre and literature."

L'idée de Kino-pravda (ou "ciné-vérité") fait partie de l'œuvre théorique des cinéastes russes Dziga Vertov, Elizeta Svilova et Mikhail Kaufman, selon laquelle le ciné-œil objectif permettrait non seulement une représentation de la réalité, mais en révèlerait une vérité encore plus profonde grâce aux possibilités d'arrêt sur image, de contrechamps, d'accélérés et de ralentis. Ceux-ci permettent de restituer le réel de façon plus complète et d'en dévoiler des pans inaccessible à l'œil humain. Cette technique voit le jour durant les années 1920. Dziga la développa initialement en se focalisant sur des séries d'expériences, en filmant des personnages grâce à une caméra cachée. Dziga Vertov déclare au propos de sa technique :

"La Kino-pravda est faite avec le matériau comme la maison est faite de briques. C'est de la manière dont nous allons laisser la vie pénétrer dans l'objectif que dépendent la qualité technique, la valeur sociale et historique du matériau et ultérieurement la qualité de tout film."

S'opposant au cinéma dramatique et littéraire (une histoire, des acteurs, des décors), L'homme à la caméra est un travail de montage, de mouvement et de rythme ou encore de montage-mouvement du réel. Le film prend pour principe (ciné-œil versus ciné-drame) de filmer une grande ville d'un matin au soir (apparemment Odessa). C'est le dernier film que Vertov réalise avec son frère (Mikhaïl), en raison des dissensions nées au sujet du travail sur le film. Le film est projeté à Paris, au Studio 28, en juillet 1929. L'esthétique du film est marquée par les mouvements d'avant-garde de l'époque, le futurisme et le constructivisme. Un film à la fois documentaire et expérimental qui semble encore indemne des contraintes artistiques dictées ensuite aux artistes d'URSS.
Œil-caméra oblige, réécoute aujourd'hui du disque d'influence jazz et down-tempo Man With A Movie Camera (2003) du groupe The Cinematic Orchestra que j'ai dans ma besace sonore depuis quelques années. Le film est d'ailleurs déjà éponyme d'une piste du disque Every Day (2002). Issu d'une fusion entre jazz et hardcore punk- remember Crabladder - Jason Swinscoe, auteur/programmeur/multi-instrumentaliste aux compositions défiant tous les genres, monte son club dans les années 90, le Loop, dont le concept était aussi bien pour les DJ que pour les musiciens de refaire la B.O d'un film de leur choix : contrebasse, clarinette, sampling et liquidité, bande sonore entremélée d'extraits de films. Pour lui, ce sera The Man With a Movie Camera.

Piste 8: Work it! (Man With The Movie Camera)
Enchaîné sur Blow-up de Michelangelo Antonioni. Cela ne m'a pas frappée hier, mais j'y pense tout à coup : finalement, le protagoniste de ce film a lui aussi l'œil très caméra. Malgré certains aspects qui semblent décousus (la scène dans le club avec les Yardbirds (?!), l'achat de l'hélice?, le match de tenis des mimes), mais qui sont peut-être là pour justement brouiller les pistes ou encore effacer toute preuve du récit et de la fiction, le film est très captivant. Jane Birkin y fait une apparaition (elle aussi très décousue) et le lieu du crime finalement, c'est Maryon Park.

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