10 mars 2014

Portrait de Marseille

[…] ultime parapet du monde occidental... ville d'entre deux-mondes, exposée de toute éternité aux convoitises des peuples venus de l'autre côté de l'eau [...] Une ville comme un grand opéra, comme un antique récit dont les personnages auraient tous été des possédés, tous des fous de l'ailleurs, des hommes ayant voyagé ou sur le point de voyager, une ville de filets qui sèchent, de voiles, de mâts, de paquebots qui glissent vers le large et passent avec une noble assurance entre les forts dressés de part et d'autre de l'entrée du port, non pas, ainsi qu'on pourrait le croire, pour assurer sa défence, mais toujours prêts à tirer sur les Marseillais, ces forts, le Saint-Nicolas et surtout le Saint-Jean qu'Isabelle, à quelques années de là allait comparer à ''une vieille hôtellerie de l'armée d'Afrique''.
[…]
Une ville de placettes, de petits bancs s'offrant au repos des bavards, une ville de ruelles,  comme autant de coulisses ou se déversait le flux des sans-racines, des sans-toits, des intrus, la ville où Isabelle, comme Orschanow, son Trimardeur, reçut ''la révélation de la vie méditerranéenne'', une ville qui symbolisait à la perfection la trajectoire d'une cassure, celle de la Canebière, allant droit au port comme pour s'y jeter, comme pour disparaître avec l'Europe, là où commence la mer.
[…]
Ecartelée entre la subtilité grecque, le fatalisme musulman, l'orgueil corse, la rouerie napolitaine, ce carrefour de toutes les contradictions avait de quoi [...] retenir.
Edmonde Charles-Roux, Un désir d'Orient : Jeunesse d'Isabelle Eberhardt, p. 305/306

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