9 juin 2014

Claudio Magris, Danube (8)

La Mitteleuropa est rivée à la terre, elle est alpensotck et habit de gros drap vert, ordre pointilleux des trésoreries et des chancelleries : civilisation de gens qui ont cessé d'être des familiers de l'élément liquide, de l'amnios maternel et des anciennes eaux des origines, et qui ne se déshabillent pas facilement, parce que sans veston, sans contour, sans grade, sans uniforme et sans numéro matricule, on se sent sans défense, mal à l'aise.
[...]
La mer, en revanche, c'est l'abandon au nouveau, à l'inconnu, qu'il s'agisse d'affronter le vent ou de se laisser porter par les vagues. Dans le premier petit port venu, avec un vieux chandail et les galets qui brûlent sous vos pieds, la main tendue nochalamment au plaisir et l'amour qui n'ont pas à se frayer un pénible chemin parmi les manteaux et autres aprêts de l'hiver, on est prêt à sauter dans la première barque et à disparaître, comme ces personnages de Conrad qui, à peine sortie de la capitainerie, se fondent dans l'immensité du littoral du Pacifique, engloutis par la vie innombrable de ses milliers de kilomètres. Le centre du continent pousse à l'analyse, la mer à l'épopée ; c'est sur les routes maritimes qu'on apprend à se libérer des angoisses d'un Kyselak, obsédé par la volonté de réaffirmer sans cesse son identité.
Claudio Magris, Danube, pages 215/216.

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