1 mai 2015

Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (4) : De la norme sociale

Dira-t-on que, pour ces indigènes, il n'y a rien à attendre de la société ? Institutions et coûtumes leur semblent pareilles à un mécanisme dont le fonctionnement monotone ne laisse pas de jeu au hasard, à la chance ou au talent. Le seul moyen de forcer le sort serait de se risquer sur ces franges périlleuses ou les normes sociales cessent d'avoir un sens en même temps que s'évanouissent les garanties et les exigences du groupe : aller jusqu'aux frontières du territoire policé, jusqu'aux limites de la résistance physiologique ou de la souffrance physique et morale. Car c'est sur cette bordure instable qu'on s'expose soit à tomber de l'autre côté pour ne plus revenir, soit au contraire à capter, dans l'immense océan de forces inexploitées qui entoure une humanité bien réglée, une provision personnelle de puissance grâce à quoi un ordre social autrement immuable sera revoqué en faveur du risque-tout.
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques. Chapitre : La fin des voyages, page 39.

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