29 juil. 2023
28 juil. 2023
27 juil. 2023
26 juil. 2023
25 juil. 2023
13 juil. 2023
De la juste intendance
Nous savions ce que nous possédions, définition de la juste intendance. [..] Mon sac pesait huit kilos à présent. Vertu de la cure : quand la logistique diminue, la vie augmente. Le bonheur est dans la purge. Pourquoi nous infligions-nous ces étapes monotones qui n'avaient même plus le caractère des courses d'altitude ? Dans ces cavales, nous ne rencontrions personne, [...] Les heures s'offraient à la méditation. Chaque jour, le corps s'occupaiet d'avancer lentement pendant huit ou dix heures. Pour peu que l'effort soit régulier, l'esprit divagait gentiment. Appelons cela une expérience de la poésie et du mouvement.
Sylvain Tesson, Blanc, page 223.
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De la micro-tactique stendhalienne
Nous consacrâmes deux jours à préparer le dernier tronçon de notre raid, vers la mer. Une question taraudait du Lac : devait-on choisir la route vers le sud à travers les Dolomites ou bien prolonger le raid vers la Slovénie ? En d'autres termes : Venise ou Trieste ? Je disais les choses plus simplement : chez Lord Byron ou chez Paul Morand ? Dans les deux cas, la côte adriatique faisait la bordure. [...]
Rémoville lisit les chroniques italiennes de Stendhal, vrai manuel du raid à ski. Non pas que Stendhal s'intéressât à l'alpinisme, mais parce qu'il diffusait un style de vie pas étranger à l'aventure. Il se résumait à trois verbes : vouloir, décider, agir. Et vite avec cela ! L'énergie était l'explication de Stendhal. Il en faisait grand cas dans sa description des sociétés. Il la cherchait chez ses amis. Il la transfusait dans l'écriture. Il préférait la sensation à l'idée. A Naples, Florence, Rome, il passait ses matinées dans les églises, l'après-midi dans les jardins, le soir au théâtre, dans l'espoir d'une alcôve pour la nuit. Les journées tombaient avec leur moisson de beautés. Comment devenir stendhalien ? Il fallait tracer son sillage entre les marques de la splendeur et les effets de la fantaisie. Glisser à la surface des choses pour les sentir profondément. Ordre du jour : tout saisir, tout aimer, se garder des théories, mépriser les idées générales, rafler les impressions particulières. [...] Si nous réussissions à transposer la micro-tactique stendhalienne au raid à ski, nous fuserions à travers la Vénétie du Nord et l'ouest de la Slovénie, comme dans les galeries d'un musée, ne cherchant rien d'autre qu'à saluer les formes inertes de la beauté.
Rémoville lisit les chroniques italiennes de Stendhal, vrai manuel du raid à ski. Non pas que Stendhal s'intéressât à l'alpinisme, mais parce qu'il diffusait un style de vie pas étranger à l'aventure. Il se résumait à trois verbes : vouloir, décider, agir. Et vite avec cela ! L'énergie était l'explication de Stendhal. Il en faisait grand cas dans sa description des sociétés. Il la cherchait chez ses amis. Il la transfusait dans l'écriture. Il préférait la sensation à l'idée. A Naples, Florence, Rome, il passait ses matinées dans les églises, l'après-midi dans les jardins, le soir au théâtre, dans l'espoir d'une alcôve pour la nuit. Les journées tombaient avec leur moisson de beautés. Comment devenir stendhalien ? Il fallait tracer son sillage entre les marques de la splendeur et les effets de la fantaisie. Glisser à la surface des choses pour les sentir profondément. Ordre du jour : tout saisir, tout aimer, se garder des théories, mépriser les idées générales, rafler les impressions particulières. [...] Si nous réussissions à transposer la micro-tactique stendhalienne au raid à ski, nous fuserions à travers la Vénétie du Nord et l'ouest de la Slovénie, comme dans les galeries d'un musée, ne cherchant rien d'autre qu'à saluer les formes inertes de la beauté.
Sylvain Tesson, Blanc, page 215-216.
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12 juil. 2023
D'un certain empire et de la couture
Après 1918, en remplacement, les Etats-nations avaient découpé menu le territoire. L'Empire avait été un manteau rapiécé par un couturier sacré : l'Empereur. La nation, elle, faisait place nette et délimitait des espaces régis par le droit. A chaque col, une borne pour la frontière. [...] Demeurait un dernier principe impérial : celui de l'ozone et de la neige. Tous les ans, de la Tinée à Trieste, l'hiver refondait son règne organique. Ses sujets le rejoignaient librement. Il fallait traverser la forêt, monter encore, ouvrir la trace dans la substance et s'approcher du ciel pour rejoindre les hauts postes du silence et de l'uniformité. L'esprit du lieu influait sur la nature humaine. On se sentait léger, solide bien que vulnérable. Pour survivre, il fallait continuer. L'altitude imposant la fuite. Vertu du mouvement, il s'alimente lui-même : on trouve en avançant les forces nécessaires pour toujours avancer. Et cet impératif rendait l'esprit allègre et le corps plus tendu. On se sentait libre. C'était cela le dernier emppire : le Blanc.
Sylvain Tesson, Blanc, page 213.
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11 juil. 2023
Des éléments ou du désert, de la mer, de la neige
Après les dunes, d'autres dunes. C'était une traversée de caravanier saharien, une nage dans le silence. Nous craignions l'avalanche, comme les chameliers les vents de sable. Nous souffrions du froid, comme eux de la soif. La différence : nous ne transportions ni pierreries, ni esclaves. Nous nous contentions de nous déplacer nous-même. Comme eux, nous faisions la trace à travers une substance.
Le désert du Bédouin, la mer du marin, la neige du skieur : le sable, le bleu, le Blanc. Dans leur élément, ces voyageurs ne suivent pas des pistes mais naviguent de postes en positions, tirant des lignes dans l'abstraction. Le marin rejoint ses ports, l'alpiniste ses refuges, le caravanier ses puits. Entre les havres, l'inconnu.? Dans tous les cas, un fil vrs la vie, tendu en plein vide.
Le désert du Bédouin, la mer du marin, la neige du skieur : le sable, le bleu, le Blanc. Dans leur élément, ces voyageurs ne suivent pas des pistes mais naviguent de postes en positions, tirant des lignes dans l'abstraction. Le marin rejoint ses ports, l'alpiniste ses refuges, le caravanier ses puits. Entre les havres, l'inconnu.? Dans tous les cas, un fil vrs la vie, tendu en plein vide.
Sylvain Tesson, Blanc, page 207.
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De l'avalanche
On pourrait bâtir une théorie psycho-politique de l'avalanche. Le bonheur d'une société humaine repose sur la fixité. Les peuples, comme les individus, aiment ce qui demeure. Ni la forme des villes, ni le cycle des années, ni les habitudes du jour ne sauraient varier sans cesse. La pêche à la ligne le dimanche est peut-être la plus haute conquête d'une civilisation. "J'établis mes bases dans la montagne sainte.", disait la Vierge Marie de la chapelle Notre-Dame-de-la-Gorge, aux Contamines.
Le nouvel ordre productif a institué la permanence de l'impermanent. Le requête du changement a fin par affoler les hommes. En quelques décennies, l'organisation globale a érigé l'innovation en dogme. Toujours plus, toujours différent, toujours ailleurs. De là, nécessité de vivre vite. Puisque tout se trasnforme, on sera toujours en retard. Alors, sous la menace de l'obsolescence, le résultat ne sera jamais satisfaisant : frustation, ressentimenet, violence. La requête de la mise à jour numérique transposée dans le champ anthropologique fait de l'Histoire une valse musette avec subsitution de cavalier à chaque mesure.
S'adapter est le nom que l'impuissance donne à l'action. Sens de l'Histoire est le nom que des dirigeants incapables donnent au mouvement qu'ils ne savent empêcher. Ainsi s'épargnent-ils la charge de veiller tendrement sur les héritages de l'Histoire.
Hugo dans Les Rayons et les Ombres : "que peu de temps suffit à changer toute chose." Les empereurs Habsbourg disaient en léguant le pouvoir à leur descendance : "Veille à ce que rien ne change." C'est une parole de montagnard, répugnant à l'incertain, craignant les avalanches qui sont à la géographie ce que les révolutions sont à l'Histoire.
Le nouvel ordre productif a institué la permanence de l'impermanent. Le requête du changement a fin par affoler les hommes. En quelques décennies, l'organisation globale a érigé l'innovation en dogme. Toujours plus, toujours différent, toujours ailleurs. De là, nécessité de vivre vite. Puisque tout se trasnforme, on sera toujours en retard. Alors, sous la menace de l'obsolescence, le résultat ne sera jamais satisfaisant : frustation, ressentimenet, violence. La requête de la mise à jour numérique transposée dans le champ anthropologique fait de l'Histoire une valse musette avec subsitution de cavalier à chaque mesure.
S'adapter est le nom que l'impuissance donne à l'action. Sens de l'Histoire est le nom que des dirigeants incapables donnent au mouvement qu'ils ne savent empêcher. Ainsi s'épargnent-ils la charge de veiller tendrement sur les héritages de l'Histoire.
Hugo dans Les Rayons et les Ombres : "que peu de temps suffit à changer toute chose." Les empereurs Habsbourg disaient en léguant le pouvoir à leur descendance : "Veille à ce que rien ne change." C'est une parole de montagnard, répugnant à l'incertain, craignant les avalanches qui sont à la géographie ce que les révolutions sont à l'Histoire.
Sylvain Tesson, Blanc, pages 203-204.
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4 juil. 2023
Du barattage de la pensée
Nous laissâmes les cols de Mallemort, du Vallonet et de la Coulette, circulant entre les affleurements de calcaire et traversant des combes riches des neiges de l'hiver. Pour le regard, subsistaient les architectonies du relief, réduites à des tracés. Un ciel de métal couvrait ces esquisses. Et dans ces paysages pour haïkus, rien d’autre n'aiguillonnait la pensée qu'une image barattée au fond de nos psychismes engourdis. Tout cela est une manière sophistiquée d'avouer que nous avancions dans l'abrutissement.
Sylvain Tesson, Blanc, Le onzième jour, page 51.
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3 juil. 2023
De l'aube
A l'aube, la neige est dure, le ciel clair, le monde cabré. Dans la lumière électrique, le corps monte sans fatigue. Nous partîmes à six heures. L'aube sonne la jeunesse, il sera temps plus tard d'atteindre cinquante ans, c'est-à-dire 10 heures du soir.
Sylvain Tesson, Blanc, Le neuvième jour, page 45.
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De la mer et de la montagne ou de la rencontre et de la séparation
Certes, l'histoire alpestre ne manqua pas de circulations : des passeurs, des colporteurs de coucous, des chasseurs de chamois, des ramoneurs et des cristalliers remplirent l'office d’aller voir chez le voisin. Parfois une troupe en armes croisait sur les hauteurs. C'étaient des incursions rares, Les montagnards, éduqués par le chaos des reliefs, savent que survivre, c'est se tenir à distance. 1 000 mètres de dénivelé éloignent davantage que 1 000 kilomètres de distance. La mer a été déployée pour la rencontre. La montagne sert à séparer. La mer étend son parvis. La montagne dresse ses défenses. Sur la première, on échange produits et idées depuis que les Grecs ont fait de sa surface le résumé de l'univers. Dans la seconde, comment se rencontrer ? Là-haut, les populations voisinent tout en se considérant étrangères.
Sylvain Tesson, Blanc, Le huitième jour, page 43.
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2 juil. 2023
Du dilué [ou : De la peau du ciel]
Un peintre suisse du monde d'hier, Cuno Amiet, avait représenté, au début du XXème siècle, un skieur dans un paysage de neige : un point dans une nappe blanche, jaune plus exactement, enfin couleur de chair puisque la neige est la peau du ciel équarrie sur la Terre. Je voulais devenir ce personnage : une présence sans valeur dans un monde sans contours. Le voyage deviendrait un déplacement dépourvu de finalité, suspendu dans le monochrome. Ce serait l'action pure, parfaitement réduite à son seul accomplissement. Il y aurait la sueur, le silence et la trace. Les portes s'ouvriraient. J'entrerais dans le vierge, le dilué.
Sylvain Tesson, Blanc, Le cinquième jour, pages 33-34.
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1 juil. 2023
De la qualité cathartique de la neige
Cette fois, je partais dans le Blanc. Et je comptais sur la couleur substantifique pour me pourvoir la joie. Le séjour dans les paysages de neige est une saignée de l'âme. On respire le Blanc, on trace dans la lumière. Le monde éclate. On se gorge d'espace. Alors s'père l'élaircie de l'êre par le lavement du regard.
Sylvain Tesson, Blanc, Le quatrième jour, page 31.
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D'une certaine échelle des altitudes en montagne
On pouvait aussi s'occuper à remonter la pente telle une échelle du temps en associant mentalement les altitudes aux dates de l’Histoire. On se composait une chronologie de brocante. La fantaisie des références compensait le manque de rigueur. Si nous partions de 800 mètres, salut à Charlemagne. A 1 110 mètres, chevauchaient les chevaliers de la Table ronde. A 1 500, on avait abordé le Nouveau Monde, à 1 700 Louis XV régnait. Napoléon suivrait à 1 800, puis il y aurait l'exil d'Hugo, la Belle Epoque, la mort d'Apollinaire, le génocide arménien, l'Aéropostale, la guerre du Kippour, la libération de Palmyre. Après 2018, cela deviendrait de la science-fiction. En outre, un col arriverait finalement. Il faudrait redescendre : l'histoire des hommes n’est pas une course infinie vers le sommet. En Histoire comme en montagne, à un moment, tout le monde descend. Le refuge des Merveilles se tenait à la cote 2 110 mètres. Au-delà de Stanley Kubrick.
Sylvain Tesson, Blanc, Le quatrième jour, pages 29-30.
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De la grimpe comme liturgie
Grimper était une liturgie des gestes déliés et de nœuds définitifs. Sur les dalles de granit ou de calcaire, on rendait nos grâces au dieu Pan (pas encore mort). Tout ce qui se dévoile est beau, avait dit Priam sur les remparts de Troie. Tout ce qui est vide est divin, ajoutions-nous. La montagne était notre église. Notre épuisement, le soir, après les escalades, la preuve de notre foi. La sensation d’être vivant, au bord d’un gouffre, ne pouvait-elle pas porter le nom de Dieu ?
Sylvain Tesson, Blanc, Le troisième jour, page 27.
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