12 juin 2009

La caverne des idées, Jose Carlos Somoza

La difficulté d'expliquer La caverne des idées de José Carlos Somoza réside dans la diversité des angles de narration de cet opus. La caverne est une véritable poupée russe aux divers jeux de miroirs.

À l'intérieur

Tramaque*, éphèbe et brillant disciple de l’Académie, est retrouvé mort, dévoré par les loups. Son mentor, Diagoras, perturbé par l’horreur du drame et l'expression des yeux de son disciple, a recours au déchiffreur d’énigmes, Héraclès Pontor. Il se sent coupable de ne pas avoir su palier au drame subi par son disciple et veut comprendre ce qui est arrivé. De son côté, Héraclès Pontor accepte cette enquête car il a cru apercevoir quelque chose sur le corps mutilé du garçon.

A l'intérieur de l'intérieur

La lecture du livre s'avère être une "dispute" philosophique au sens platonnicien du terme. On retrouve les idées platoniciennes fondamentales telles que les idées du Beau et de la Vérité, ainsi que les principes de la méthode de la connaissance platonicienne. Outre la dialectique des dialogues socratiques, la conduite du raisonnement se fait sur les deux modes platoniciens (aux fondements du cheminement de la raison dans la culture dite européenne occidentale) :

- méthode des conséquences, qui consiste à examiner toutes les conséquences d'une hypothèse ;
- méthode de division, qui consiste à diviser l'objet que l'on cherche à définir en procédant à l'analyse des espèces et des différences qu'il contient.

En filigrane, on a le thème de la réminiscence qui selon Platon nous permet de connaître les Idées. Cette thèse suppose l'immortalité de l'âme qui, en séjournant dans un monde intelligible supérieur au monde empirique, se souvient des réalités divines qu'elle y a vues.

A l'extérieur

La retranscription de l'enquête, c'est-à-dire le texte en soi de La caverne des idées est en fait un manuscrit retrouvé par hasard, 1 millénaire après sa rédaction. Un traducteur le traduit pour le lecteur au fur et a mesure de la lecture dédoublée, celle du traducteur fictif et celle du lectueur réel. Pour aider le lecteur à comprendre toutes les clefs du texte traduit, le traducteur - lui-même lecteur mis en abyme - annote avec abondance le texte. Les notes de bas de page forment à elles seules un quatrième niveau de lecture, dans un cadre topographique très original. Pour le traducteur, il ne fait vite aucun doute que ce manuscrit est eidétique.** Au fur et a mesure du récit, il est persuadé que derrière La caverne des idées se cachent le mythique texte des Travaux d’Hercule.***

A l'extérieur de l'extérieur

Plus le récit progresse, plus le traducteur se retrouve dans un rôle se détachant de lui. Il lui semble appartenir au récit lui-même : il se projette comme personnage fictif dans certaines descriptions du récit qu'il lit et traduit ; il retrouve son nom ou des indications ne pouvant parler que de lui ; il se heurte finalement au concept quasi religieux de "Traducteur" que découvre également Héraclès Pontor dans le récit du récit. Les événements relatés dans La caverne des idées semblent déborder sur sa propre vie. Effaré, il se rend compte que l’éditeur contemporain du manuscrit a trouvé la mort dans les mêmes conditions que le disciple Tramaque.

On n'a rarement le vertige en se regardant dans plusieurs miroirs. L'écriture est magistrale.

* > Trame: complot, intrigue nouée.

** L'eidétique est une technique littéraire inventée par les écrivains grecs permettant de transmettre des clés ou des messages secrets dans les œuvres, en répétant des métaphores ou des mots qui, isolés par un lecteur averti, forme une image indépendante du texte originel. Un des exemples des plus clairs et obscurs à la fois reste le roman de Christian Rosenkreutz, Chymische Hochzeit (1616) dont se réclame le mouvement rosicrucien. Le théologue Johann Valentin Andreae serait l´auteur des Noces Chimiques.

*** Hercule Pontor est Hercule ? Comme déchriffreur d´énigmes et enquêteur lui ausi confronté au thème de la résolution de travaux.

Aucun commentaire: