3 août 2014

Claudio Magris, Utopie et désenchantement (13) [de l'homme et du surhomme (1)]

Chez celui qui a le mieux exprimé le sentiment dionysiaque de la vie, à savoir Nietzsche, Hesse a puisé l'acception la plus révolutionnaire du personnage de l'errant, qui l'a inspiré surtout pour Le Loup des steppes. Lecteur perspicace et sans œillères, Hesse avait compris que le surhomme de Nietzsche n'est pas un individu excepionnel, plus fort de la masse de laquelle il s'élève, mais plutôt une figure tournée vers un nouveau stade anthropologique, une nouvelle forme d'individu qui se situe au-delà des limites traditionnelles du sujet bourgeois, au-delà des limites de la construction socio-humaniste du moi. L'Übermensch est l'errant héroïque qui affronte et vit cette phase du passage d'une dimension humaine à une autre. Le Loup des steppes, destructeur des certitudes bourgeoises et locateur de chambres meublées bourgeoises, se trouve dans ce stade du passage, pour moitié encore lié à l'individualité traditionnelle et pour moitié déjà au-delà d'elle : ''L'homme'', dit le petit traité inclus dans Le Loup des steppes, ''n'est point une création solide et durable [...], mais plutôt un essai et une transition ; il n'est pas autre chose que la passerelle étroite et dangereuse entre la nature et l'esprit. Harry Haller n'est pas une unité psychologique hierarchisée dans des structures conventionnelles de l'égo, mais plutôt une multiplicité de noyaux psychiques, un agrégat provisoire de pulsions et d'énergie libidinales libérées de la répression de la conscience et dont la charge centrifuge ne connaît pas de frein.
Claudio Magris, Utopie et désenchantement, pages 278/279.

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