Parmi les éléments qui ne pourront pas ne pas continuer à être fédérateurs – et il y va de la survie même de la civilisation européenne dans son sens fort – figure le sens de la valeur fondamentale de l'individu et de la rationalité. Sous les formes les plus diverses, la civilisation occidentale s'est toujours fondée sur ce sens de la valeur fondamentale de l'individu, en opposition avec la totalité, exaltée par d'autres traditions. C'est une vision que l'on retrouve, pour ne donner que quelques exemples, chez les stoïciens avec leur droit naturel, dans le concept chrétien de personne, dans les garanties élaborées par le droit romain et ainsi de suite, jusqu'aux grandes conquêtes du libéralisme, de la démocratie et du socialisme, formes diverses mais qui ont en commun de mettre l'accent sur l'individu, sur sa valeur inaliénable, sur la nécessité de le protéger. Les transformations sociales, qui ont créé et créent tant de libertés, risquent aussi, paradoxalement, de mettre en péril cette valeur inaliénable de l'individu. Ce qui semble aussi en péril, en dépit de la croissante rationalisation technologique, c'est la rationalité, assaillie par un irrationalisme toujours plus répandu, par un bric-à-brac d'occultisme et de superstition.
Claudio Magris, Utopie et désenchantement, pages 352/353.
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