10 avr. 2012

De Prael ou Le levenslied hollandais

De Prael, brasserie locale d'Amsterdam, est un petit établissement situé en plein cœur de la ville et du quartier rouge d'Amsterdam. La brasserie ouvre en 2002, et s'appelle d'abord De Parel (la perle). Contrainte de changer de nom par Budels qui produit une bière du même nom, la brasserie choisit de se rebaptiser de son propre anagramme, De Prael. En 2008, la brasserie réemménage dans le centre, sur le Oudezijds Voorburgwal, dans les locaux d'une ancienne brasserie. En 2011, le local de dégustation ouvre.
De Prael se profile comme un local typiquement néerlandais et s'adresse essentiellement aux amateurs de bières qui sortent de l'ordinaire. Particularité intéressante et qui fait encore dans la couleur locale : les noms données aux bières sont tous issus de la tradition musicale populaire des Pays-Bas et du levenslied néerlandais. Le levenslied ou la chanson populaire hollandaise aux thèmes ancrés dans la vie de tous les jours. Malgré son envergure somme toute locale, la brasserie offre un assortiment très varié de bières constamment brassées (Johnny, Heintje, Mary, Willeke), mais aussi des bières brassées pour des occasions particulières, des bières de saison et bocks (André, Nelis), des bières brunes ou blanches, des éditions spéciales (Nelis met Pijp, un excellent bock à l'arôme malté fumé, Kouwe André, un bock de printemps très peu fermenté, etc.). Autre particularité remarquable : la brasserie ne brasse pas seulement comme on le fait aux Pays-Bas ou en Belgique, mais utilise aussi d'autres techniques comme par exemple pour la Johnny, une Kölsch maison alors que la Kölsch est une bière de fermentation haute typique de Cologne. De Prael est aussi engagée socialement et favorise l'accès aux travail des personnes handicapées dans son personnel. A l'époque, première brasserie aux Pays-Bas ayant choisi ce modèle social.
A l'occasion de diverses soirées, de promenades et d'une dégustation de bières dimanche dernier (Johnny, Willeke, Nick en Simon, Sanctie, plus quelques extras), voilà une petite revue de quelque-unes de leur bières :
Johnny
La classique, nommée d'après Johnny Jordaan. De quoi éteindre la soif, une bière blonde typique, à l'amertume légère. 5,7 %. De manière générale, toutes les bières De Prael sont à servir entre 6 et 8 °C. Johnny Jordaan, de son vrai nom Johannes Hendricus van Musscher (1924-1989), chanteur-interprète du levenslied néerlandais est essentiellement connu pour ses chansons sur Amsterdam et en particulier sur le quartier du Jordaan. Une statue à son effigie, ainsi qu'à celle de Make Nelis, trône sur la Jordaanplein, entre le Elandsgracht et le Prinsengracht (mon premier quartier à Amsterdam). La voix du Jordaan opérait notamment dans le café De Kuil : Geef mij maar Amsterdam!
Heintje
Frais et doux, j'ai cru reconnaître des accents ensoleillés à cette bière. 5,4 %. Hein Simons, connu dès sa plus tendre enfance sous le diminutif de Heintje, chantait en néerlandais, allemand, anglais et afrikaans. Incroyable, mais vrai : 40 millions de disques vendus, 45 disques d'or, 2 platines et un disque de diamant. Sachant que ces récompenses sont calculées au prorata de la population d'un pays, cela montre à quel point le levenslied fait partie intégrante de la culture musicale populaire des Pays-Bas.
Willeke
D'après Willeke Alberti. Une triple blonde très aromatisée, appréciée par la gent féminine d'après mes observations. Ze zal je verwarmen en omarmen. 7,5 %, De Prael conseille de servir à 10 °C. Willeke Alberti, en fait Willy Albertina Verbrugge (né en 1945) est fille du chanteur-interprète Willy Alberti. Qui se souvient de la malheureusement désastreuse candidate néerlandaise à l'Eurovision 94 ? Voilà, c'est elle. Sinon le titre le plus connu Willeke, Spiegelbeeld, (une adaptation de Tender years de George Jones).Du levenslied néerlandais en italien, c'est aussi possible, mais grâce au père : Willy Alberti, le Tenore Napolitano du Jordaan.
Mary
Une bière lourde, toute en rondeurs, délicieuse... une triple à la merveilleuse couleur ambrée. Première bière de la brasserie sur laquelle nous sommes tombés, aux hasard d'une promenade nocturne. Vol en zacht is haar rondborstigheid. Tout est dit. 9,7 %, là aussi : 10 °C. D'après van Mary Servaes, autre icône du levenslied ou la chanteuse sans nom (Zangeres zonder Naam, 1919–1998). Son psydonyme serait éventuellement inspiré de Roland Avellis, chanteur français connu à l'époque sous le pseudonyme du 'Le chanteur sans nom'. Quelques titres qui ont contribué à son succès : Ach vaderlief, toe drink niet meer, De blinde soldaat, Mexico, Het soldaatje (de vier raadsels), Mandolinen in Nicosia, Keetje Tippel, 't Was aan de Costa del Sol, et Vragende kinderogen. Grâce entre autre à Gerard Reve et Lucebert, Mary Servaes put se profiler aussi bien dans les cercles amateurs du levenslied que dans des cercles plus intellectuels du Camp, concept regroupant toute expression culturelle utilisant de manière consciente des éléments perçus comme étant kitsch. Le Camp embrasse ainsi la culture de masse dans une perspective artistique.
Willy
Une malt ronde et robuste, d'après le fameux Willy Alberti, le père donc. A boire l'hiver, ou dans son frigo (avec la Mary). 11,5 % (attention, ça cogne au bout de deux déjà), pareil : 10 °C, dit-on.
André
Ouvre la saison printanière avec un bock amer aux accents fruités. 6,6 %. André Gerardus Hazes ou le renouveau du genre dans les années 70 est considéré comme l'un des plus fervents interprètes du levenslied. Avec lui, on nait et évolue d'abord dans le quartier du Pijp, avec de régulières performances sur l'Albert Cuypmarkt. Cette fois, c'est Willy Alberti qui le promeut en le découvrant dans le café De Krommert, un bruine kroeg qui se trouve dans le quartier du Baarjes. Premier gros succès : Eenzame Kerst. Une statue de lui se trouve sur place du Albert Cuypstraat. Bifurcation : une autre brasserie a nommée une autre de ses bières d'après un autre succès d'André Hazes : Bloed Zweet en Tranen. Une autre excellente bière fumée. De la Brouwerij de Molen, Bodegraven.
Nelis et Nelis met Pijp
Testée l'année dernière. Nelis, un bock qui a du caractère et une couleur rubis extraordinaire et Nelis met Pijp, un bock fumé. Vous aidera à passer les premiers orages d'automne. D'après Manke Nelis. 7,7 %. Autre interprète du levenslied, Manke Nelis, né Cornelis Pieters (1919-1993) s'appelle Carlo Pietro de son nom de scène. Son tube, Kleine Jodeljongen, fut même un temps alarmschijf de la radio Veronica (concept néerlandais qui associe un titre musical à un numéro. Quand le numéro est tiré, une alarme de bateau retentit. Le titre profite pendant un certain temps d'une programmation répétée et donc d'une très large diffusion sur les ondes).
Sancti Adalberti PastoraleUne bière hivernale, sa teinte fait penser aux dunes hollandaises. De couleur ambrée à l'éclat orangé qui rappelle son caractère fruité, voire épicé (la fraîcheur des fleurs de tilleul associé au malté du caramel). 8,1 %.
Zwarte Riek
Un magnifique brune, très légère (seulement 4,6 %) aux accents fumés et aux arômes de caramel ! La plus surprenante, à la robe profonde tirant sur le brun-bordeaux, mon coup de cœur. Autre voix du Jordaan et fille de poissonnière, Rika Jansen dont l'oncle Hein ressemblait à tous les singes du zoo Artis pendant qu'Amsterdam pleure alors qu'elle riait il n'y a pas si longtemps que ça. Pour résumer, mes préférées : Nelis, Mary et la Zwarte Riek.

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