Pour considérer le manque d'ardeur au travail comme un crime, il fallait d'abord avoir élevé le goût du travail au rang d'une vertu. Ce qu'on pouvait reprocher aux Marseillais, dans l'Antiquité, et, plus tard, à l'époque médiévale, ce n'était pas la paresse, mais le goût du lucre, et l'origine même de leur richesse, de se l'être procurée par des moyens ignobles. [...] Au Moyen-Age, la Paresse ne figurait pas dans la liste des sept péchés capitaux. Sa place y était occupée par la Tristesse, tout auprès de l'Avarice... La joie était une vertu, et ce déclassement dit assez qu'elle fut, depuis, la dérive de notre monde.
La Réforme a joué dans la sacralisation du travail, et de ses fruits, un rôle fondamental, sur lequel il n'est guère besoin d'insister après les travaux de Max Weber.1 Rappelons toutefois que le protestantisme, dans sa forme la plus pure – le calvinisme – est, pour une large part, une religion de la prédestination : Jesus-Christ n'est pas mort pour sauver tous les hommes, et la plupart d'entre nous sont destinés, de toute éternité, à la damnation – quoi qu'ils fassent. Si une telle théorie n'a pas conduit les protestants au fatalisme le plus absolu, c'est peut-être que, dans sa violence même, elle exigeait pour être supportable qu'existât une échappatoire. L'homme ne peut vivre toute une vie dans l'angoisse et le doute sans chercher un commencement de réponse, ou de consolation. L'idée s'imposa donc, tres vite, que la réussite d'une existence était le signe de la grâce. Cependant que son échec était la preuve de la damnation... On peut à bon droit se demander si la réussite d'un individu passe nécessairement par son enrichissement et son ascension sociale, mais force est de constater que le désir de se prouver à soi-même qu'on n'irait pas griller en enfer aiguillonna merveilleusement l'esprit d'entreprise des réformés. Cependant, la puissance qu'ils acquirent ainsi, ils la payerent de l'instauration d'un nouveau rapport au monde, tragique et malheureux. Quant à la pauvreté, elle a cessé, depuis, d'être à la ressemblance du Christ – ou de Saint François –, elle a bascule toute entière du côté du mal.
1 Max Weber, L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme.
1 Max Weber, L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme.
Olivier Boura, Marseille ou la mauvaise reputation, page 91/92.
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