10 juin 2017

De la figure moderne de l'intellectuel

Sans qu'on y prenne garde, la figure de l'intellectuel s'est scindée en deux, au fil des ans, telle une amibe. Elle a généré, d'un côté, la philosophie d'opinion : celle-ci se choisit un rôle (même un costume), l'affiche en "posture", facile à identifier, intervient sur tous les plateaux et donne son avis à tous propos, voire va faire passer l'outrance de sa position, si facile à consommer médiatiquement, pour de la radicalité théorique. Donneuse ostensible de leçons, elle surfe avec d'autant plus de bonheur sur le conformisme du jour et l'idéologiquement correct que, jouant inépuisablement la Révolte, elle prétend d'emblée au titre de "non conforme" et "non correct". Le critère retenu n'est plus alors de notoriété, terme désuet renvoyant à la reconnaissance d'un mérite ou d'une compétence, mais d'une exposition et de "visibilité". A côté de quoi se trouve immanquablement reléguée dans l'ombre, parce que non spectaculaire, la philosophie qu'on pourra nommer "d'élaboration", c'est-à-dire travaillant à des questions et produisant des concepts.
François Jullien, Les Transformations silencieuses, Chantiers I, pages 143/144.

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